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DELHALLE André - Cpl - Mat 4384 2ème Compagnie - Scout Section
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Caporal André Delhalle
2e compagnie – scout-section
matricule : 4384
Ce grand garçon distingué qui a pleinement réussi dans les affaires, a été arrêté par la Gestapo en février 1941 et s’est évadé de Namur le 24 février 1942. Il passe les Pyrénées, est interné pendant 4 mois à Figueras et placé à sa sortie, en résidence forcée à Madrid. Après le Portugal et Gibraltar, il arrive en Grande-Bretagne le 20 août 1943 et est versé dans l’unité de reconnaissance de la 2e compagnie indépendante.
Il participe à la Campagne de Normandie, à celle de Belgique et à la première campagne de Hollande. Alors que son unité est devenue le 2e bataillon de la Brigade « Libération » au printemps 1945, il s’illustre au sein du peloton Bren-Carriers (chenillettes blindées) dans une action qu’il a lui-même racontée.
La scène se passe en Hollande, le long de la Meuse, au sud du Moerdijck et de Doordrecht, le dernier mois de la guerre.
Ecoutons-le.
Nous logeons chez l’habitant et prenons position sur la digue selon un système de relève établi par chaque unité.
Chaque soir les Bren ouvrent le feu selon un rite établi et les Spandau répliquent
ce qui ne présente rien d’efficace mais ressemble plutôt à un échange de mauvaises politesses. Le 20 avril notre chef de section, vétéran des 18 jours, de Normandie, Belgique, Hollande où il s’est brillamment comporté et frère d’arme depuis l’Angleterre, le Sergent J. Biesmans nous revient d’un briefing pour nous annoncer enthousiaste : « Les enfants, notre deuxième section est désignée pour passer la Meuse et installer une tête de pont », ; une seconde section Scout nous rejoindra en renfort afin de permettre le passage d’une compagnie. Un peu plus tard j’accompagne le Lieutenant Grisar et J. Biesmans pour examiner les moyens qui nous seront donnés pour accomplir cette mission. Le major Van Horen est présent et nous déclare tranquillement : « Notre conviction est qu’il
n’y a plus grand monde de l’autre côté ». Je lui rétorque avec le respect que je lui dois que si son hypothèse s’avère fausse il a peu de chance de nous revoir.
Nous passons à l’examen des moyens et là stupeur ! Nous disposerons en tout
et pour tout de deux assault-boats en toile.
Endroit des lieux, capelsche veer, il faudra passer deux sections sur deux assault-boats en toile. (type de barque ci-dessus).
Comment faire passer deux sections puis une Compagnie dans deux bateaux aussi fragiles. J’avoue qu’à ce moment mon enthousiasme se refroidit et tourne à l’appréhension. Une répétition est organisée sur un bras de la Meuse à l’arrière et, par malheur, un des assault-boat est éventré par un pieu métallique sournois au moment de l’accostage ; nos moyens se trouvent subitement diminués de 50% et en définitive il va nous falloir affronter la traversée avec une seule barque dont la fiabilité peu convaincante venait de nous être démontrée. Bref cette aventure, car il s’agissait bien d’aventure, commençait très mal ; elle allait malheureusement se terminer beaucoup plus mal encore.
Le soir du 21 avril nous patrouillons jusqu’à la berge pour constater qu’aucune curiosité sur les travaux du lieutenant Tabary et de son équipe ne s’est manifestée du côté ennemi ; une surprise cependant pour un Sud-Américain Jockey de son état lequel jugeant mal la profondeur des nombreux canaux quadrillant le terrain, boira la plus belle tasse de sa vie ; je n’ai eu que le temps de l’extraire du trou d’eau en le saisissant par la capote : c’est ainsi que j’ai appris un tas de jurons espagnols que j’ignorais. Le lieutenant Tabary ayant préparé soigneusement l’aire d’embarquement avec ses pionniers il ne nous reste plus qu’à passer à l’action.
Qui participe : l’équipage de Biesmans soit lui-même, le radio P. Hauzeur, F. Biquet Bren en remplacement de J.P. Martens et Philippe Speth pilote de Carrier ainsi que mon équipage Jean Van Goethem pilote, Charles Speth Bren, J.M. Mortier et moi-même ; en plus deux pionniers Coopmans et Wuyts nous
nettoieront la rive opposée peut-être minée.
J.P. Martens faisant partie de l’équipage de Biesmans et frère de Charles Speth a été remplacé par F. Biquet pour ne pas risquer la vie de deux frères dans le même coup et selon son aveu ultérieur J.P. Martens n’aura jamais prié avec autant de ferveur pour que Biquet, en réchappe ; comme c’était une belle âme il sera exaucé.
Le 22 avril (1), nous nous équipons de tout le nécessaire en armes et munitions et rejoignons la digue au lieu d’embarquement. Le Chanoine Dehoux, aumônier du
2e bataillon se joint à nous pour exercer son sacerdoce et m’offre une bonne rasade
d’un excellent cognac en me disant « Attention à toi Grand » ; nous étions bons amis et j’ai bien vu à son expression qu’il craignait le pire. Pendant ce temps un officier canadien d’artillerie s’apprêtait à diriger un tir de couverture et me déclara
tout net en encouragement : you are quite crasy. (vous êtes complètement dingue).
Je lui ai répondu que je partageais entièrement son opinion.
Vers 18h il fait encore clair et nous voilà partis portant le seul assault-boat disponible en même temps que notre barda. Guy Havaux, le merveilleux camarade
d’un courage inouï qui permettra de nous en tirer à quelques uns, nous accompagne
pour fixer un filin d’amarrage permettant le halage de l’assault-boat au retour et en
principe le transport du reste de l’effectif destiné à l’action envisagée initialement.
Quel programme en vérité ! Nous arrivons à la berge, mettons le bateau à l’eau embarquons et à force de pagaies traversons le fleuve ; il fait froid, le courant est fort car il a plu beaucoup, le ciel roule des nuages lourds. Cependant la traversée
se fait comme une promenade sans rencontrer de réaction ennemie. Serait-ce vrai !
N’y aurait-il plus grand monde ? Nous débarquons. Havaux fixe son amarre et retourne vers l’autre rive : les pionniers commencent leur travail et contrôlent tout un secteur de la berge sans rien signaler.
Cette prochaine nuit du 22 au 23 avril 1988 marquera le 43e anniversaire du sacrifice de : Joseph (dit Joe) Biesmans, Jean (dit Nano) Van Goethem, Charles Martens, Philippe Speth, Pierre Hauzeur et Arthur Coopman.
Sgt. Biesmans J. | Sdt. Van Goethem J. | Sdt. Martens C. | Sdt. Speth P. | Sdt. Hauzeur P. | Sdt. Coopman A. |
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La peine et l’amertume ont été gommées lentement par ces 43 années pour laisser place au souvenir de leur bravoure, de leur allant et de leur chaleureuse amitié. Par respect pour le chagrin de leur famille il ne m’a pas paru opportun de tenter plus tôt une narration de l’action qui leur a coûté la vie ; mais aujourd’hui après avoir lu et entendu des versions différentes et toutes inexactes, il me paraît nécessaire de le faire en mémoire d’eux. Il est possible qu’après 43 ans quoique toujours hanté par cette affreuse nuit certains détails m’échappent, mais je puis assurer le lecteur de l’essentiel.
Ainsi donc après avoir fait campagne en Normandie, en Belgique et en Hollande, notre Scout Section de la deuxième Compagnie de la Brigade Piron s’est retrouvée à Hamme pour y recevoir tous les jeunes engagés de 44, les entrainer et leur donner toute l’expérience possible pour retourner au combat car la guerre n’est pas terminée. Grâce à cet apport d’effectifs les sections deviennent pelotons, ceux-ci compagnies et la 2e sera le deuxième bataillon nouvelle mouture sous les ordres du major Van Horen. Notre nouvelle unité est placée sous les ordres des lieutenants J. Neyrinck et J.L. Grisar.
Immédiatement une ambiance amicale et enthousiaste règne sur le groupe et l’entraînement n’en devient que plus efficace. Celui-ci terminé nous sommes envoyés à Walcheren pour une promenade touristique, car nous n’y avons rien fait et nous nous demanderons toujours la raison de cette mission ; j’espère que
le commandement la connaissait.
Le 2e bataillon à Walcheren | Derrière le « Bergse Maas » à Capellen. |
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Nous sommes ensuite dirigés sur Capellen « petite localité Hollandaise » située sur la Meuse pour y prendre position le long du fleuve à l’abri d’une digue. Sur la digue d’en face les Allemands.
A ce moment un tir de Spandau éclate ; son objectif est la barque de Havaux qui
est presque rentré au bercail. Les Allemands ont-ils été surpris ou bien nous ont-ils laissé venir pour mieux nous massacrer ? J’opte pour la 1e hypothèse compte tenu du premier contact assez dur pour eux. Nous réagissons aussitôt et bondissons vers le haut de la digue. Biesmans me demande de le couvrir à droite
pendant qu’il fonce vers les tranchées creusées par l’ennemi et J. Van Goethem me crie : j’en ai eu deux ; des coups de feu éclatent mais je me dirige vers un trou à la droite de celui de Biesmans pour le couvrir comme il me l’a demandé avec Ch. Martens et Ph. Speth ; comme je m’absente quelques minutes pour choisir le trou idoine (ils sont en majeure partie ouverts vers l’ennemi), Philippe Speth accourt vers moi assez défait pour me dire que Charles Martens a été touché ; je me précipite, mais Charles très grand n’a pas écouté mon conseil et s’est levé pour être mortellement atteint par un sniper sans aucun doute ; une seule balle lui a traversé le coeur et pendant qu’il rend le dernier soupir je le débarasse de son Bren et de ses chargeurs pour les passer à Philippe Speth ; je l’allonge ensuite dans un trou sans pouvoir faire encore quoique ce soit pour lui.
Brave Charles Martens si calme, si serein même dans la mort.
Je rejoins Philippe Speth qui s’est installé dans le trou choisi et tout en entendant
la mitraillade du côté Biesmans car cela chauffe terriblement chez eux. Nous voyons venir une section allemande dans notre direction probablement pour tourner la position Biesmans. A ce moment la nuit tombe lentement et je demande à Philippe Speth de les laisser venir encore un peu afin de mieux ajuster son tir ce qu’il fait très bien au moment voulu ; nous voyons deux ou trois
silhouettes tomber ; le calme revient de notre côté puis tout à coup un coup de feu claque à notre droite du côté fleuve dirait-on ; je laisse Philippe Speth surveiller le terrain en face et en rampant du trou aperçois un tireur, probablement un sniper, embusqué à notre droite mais du côté fleuve effectivement, je me lève, brandis ma Sten qui se bloque ; je me planque, la sueur froide au front et lance rapidement une grenade Mills ; on ne tire plus et je ne remarque plus la silhouette à sa position initiale mais bien au bas de la digue.
A ce moment l’obscurité s’est épaissie et Mortier vient nous dire que Biesmans désire que nous le rejoignions ; ce que nous faisons sous le couvert de la digue.
A notre arrivée dans la position Biesmans c’est l’enfer ; plusieurs Spandau prennent la position pour cible et malheureusement les Allemands connaissent bien les lieux puisqu’ils les ont élaborés eux-mêmes. Biesmans me signale que J. Van Goethem envoyé dans une tranchée un peu en avant de la position pour contrer un lanceur de grenade éventuel, a été gravement touché ; Coopman est tué presque aussitôt. Je lui annonce la perte de Martens. Biquet tire sans arrêt avec son Bren de même que Philippe Speth qui s’y est mis aussi : en fait tout le monde tire mais sans bien apercevoir l’ennemi car il s’est bien planqué et la nuit est tombée. A ce moment on nous ordonne par radio de décrocher sitôt que la barque aura touché notre bord. Il est bon de dire que notre brave Havaux après s’être changé est revenu se porter volontaire pour venir nous rechercher. Paul Van Goethem a voulu l’accompagner mais ses forces l’ont trahi ; c’est Roland qui prendra sa place avec un courage exemplaire.
Biesmans me demande de surveiller l’arrivée et dès qu’elle est là nous évacuons : auparavant je rampe jusqu’à la position de Van Goethem qui râle déjà mais que je me refuse à abandonner : les rafales de Spandau passent au ras du parapet, aussi je ramène Jean en position couchée jusqu’à ce que le brave Havaux qui semble se balader dans cet enfer vienne me donner un coup de main.
Nous le sortons du trou et Havaux le traîne à la barque. Nous devons nous résoudre la mort dans l’âme à abandonner Charles Martens, Philippe Speth et Arthur Coopman (2). Pendant ce temps Biesmans tente tant bien que mal d’organiser le réembarquement. Biquet assure bravement la couverture avec son
Bren. Il ne reste plus que Philippe qui a couvert l’évacuation et moi-même ; je lui dis de plonger vers la berge sans se relever. Malheureusement il ne suit pas ce conseil et se levant est cueilli par une rafale qui le fusille. Quant à moi je plonge
mais suis suivi par des rafales : j’ai donc été repéré ; je n’hésite pas à me mettre à l’eau contre le parapet du fleuve mais les tireurs me suivent dans mes mouvements ; je n’en mène pas large et comme Biesmans me crie de rallier la barque je lui conseille de ne pas m’attendre car je songe un peu naïvement à rejoindre à la nage. Je me ressaisis enfin et me déplaçant dans le sens opposé à la barque pour échapper à ces damnés tireurs je lance dans le tas la Mills qui me reste. Le calme revient momentanément et je rejoins le bateau pour y embarquer avec les autres ; à ce moment je crois que Roland lance aussi une grenade de l’autre côté et nous halons en subissant le tir ininterrompu des automatiques ; il faut bien préciser que la nuit s’est éclairée d’un splendide clair de lune et transforme le bateau en sible magnifique.
Pendant ce temps pas un tir de couverture de notre côté, le silence le plus complet ; par contre de l’autre bord le tir arrive précis et Mortier écope d’une rafale dans la poitrine, il s’en sortira heureusement ; Biesmans déjà blessé à la jambe est achevé par une rafale qui lui traverse la tête en même temps qu’elle touche Havaux au ventre (heureusement couché sur le dos, il ne souffrira d’aucune lésion grave). Nous ne sommes plus que quatre valides et efficaces.
Hauzeur qui ne cesse de demander un tir de couverture par radio, Roland, Biquet et moi-même. Wuyts a craqué et est inutile. La barque se remplit doucement d’eau sous les balles allemandes et comble de malheur elle s’arrête ;
je hurle pour demander ce qui se passe et Biquet à l’avant et Roland à l’arrière me répondent qu’aucun obstacle visible n’empêche le halage jusqu’à ce que Biquet trouve un noeud dans l’amarre freinant le coulissage dans la gaine. Il s’en occupe très bien et nous repartons tant bien que mal. Je crie à Pierre Hauzeur de demander encore un tir de couverture et c'est en hurlant le message : « mais tirez
N.D.D. » qu’il est atteint d’une rafale dans la gorge qui le tue net.
(voir témoignage Pierre Hauzeur).
Nous arrivons enfin au bout de notre calvaire et touchons la berge amie sous un tir de mortier fumigène enfin déclenché d’initiative par notre ami F. Hebrant alors sous-officier des mortiers lourds. J’ose prétendre que ce qui précède est la narration rigoureuse autant qu’honnête de l’action. Que l’on me pardonne d’avoir mis ma propre action au centre du récit, mais c’est la seule manière que j’ai trouvée pour lui donner le sens du vécu que je souhaitais. Les exécutants ont été tous nommés, il n’y en a pas eu d’autres comme j’ai parfois été surpris de le lire et de l’entendre. Il y aurait pu en avoir d’autres si le plan initial avait été réalisé mais alors avec une préparation plus fouillée et beaucoup mieux organisée avec des moyens dignes de la mission envisagée. Je sais que la section Zydlower se trouvait sur la berge amie, supposée nous rejoindre en renfort, mais comme je n’y étais pas je ne puis parler de ce qui s’y est passé. Il me parait difficile encore aujourd’hui d’avoir cru à la présence d’un effectif réduit de l’autre côté ne serait-ce que par la connaissance des tirs de Spandau répondant à nos tirs de Bren par-delà le fleuve et de quelques tirs d’artillerie subis quelques jours auparavant. Mon propos n’est ni de juger ni d’accuser mais bien de rappeler la perte de six amis très proches en relatant l’histoire de leur fin.
Ils furent sublimes parce que leur baptême du feu eut lieu dans un feu d’enfer où ils gardèrent pourtant un moral, un calme et un allant dignes des meilleurs vétérans. Ma seule consolation de les avoir perdus est le bonheur de les avoirconnus.
Il faut signaler en passant qu’en confirmation des rumeurs en cours depuis quelque temps déjà une trève sera décidée quelques jours après et qu’après environ une semaine de reprises symboliques des combats, la guerre se terminera le 8 mai.
Nous retournerons les chercher après le 8 mai ; ils ont été enterrés par les Allemands et certains sont déchaussés mais les bijoux sont intacts.
Ils seront ramenés à Capellen où un service funéraire leur sera rendu.
Extrait
« Le RENDEZ-VOUS DE GIBRALTAR »
par Guy Weber
mise en page et lay-out par Didier Dufrane