NOWE Paul-Louis - Major - Mat 19372

3rd Company - Commander

 

 

Major Paul-Louis Nowé
O.C. Commandant de la 3e Compagnie Indépendante Motorisée
matricule 19372

Ecrit par Guy Weber dans son livre
« Des Hommes Oubliés »
1978

 

Paul-Louis Nowé était mon commandant de compagnie.  Je vénère sa mémoire. Certes,  il n’avait rien d’un stratège mais la Belgique n’a qu’en faire :  ce sont des conducteurs d’hommes qu’il lui faut.  Nowé était de ceux-là avec un sens très profond de l’humain.

Né le 10 octobre 1894,  il avait exactement l’âge de mon père et les aventures que l’on va lire,  sont survenus – ne l’oublions pas – à un homme qui atteint la cinquantaine. 
Au cours de la première guerre mondiale,  il s’était engagé le 14 janvier 1915 et avait terminé en 1918 comme sous-lieutenant au 5e régiment de ligne.

Mobilisé comme capitaine-commandant en octobre 1939,  il est affecté au 34e de ligne.  Il n’est pas fait prisonnier et appartient dès le 1e août 1940 au Service « Clarence » dont la réputation n’est plus à faire.

Mais le voilà « brulé » et obligé de quitter la Belgique avec Jean Van Haecke, Kestens,  Claes et Paternotte.  Le 5 avril 1941,  le groupe quitte Bruxelles,  passe la frontière française à Menin et après une marche de dix-sept kilomètres sous une pluie battante,  traverse la Somme en barquette.  Quand on ne possède pas de papiers,  voilà où mène la clandestinité !  Après un court séjour à Paris,  Louis Nowé et ses compagnons se dirigent vers la ligne de démarcation qu’ils passent au nez et à la barbe des allemands en direction de Clermont-Ferrand.
Les voilà à Nîmes,  puis à Montpellier où Jamaer s’occupe d’eux pour les passer au colonel Sevrin.

Ils sont le 9 mai 1941 à Port-Vendre,  pour prendre la route des pélerins de l’aventure ;  47 kilomètres de traversée des Pyrénées !  « Comme tout l’monde » ils sont arrêtés le lendemain dans le train qui les conduit à Barcelone.  Enfournés à quinze dans une cellule individuelle,  interrogés par la Guardia Civil et la Securitad,  ils se déclarent citoyens canadiens.  Ils sont admis au Carcello Modelo de Barcelone.  Demandez à ceux qui y sont passés !  Le régime pénitencier y datait du Moyen-âge.  Grâce au consulat britannique,  ils sont dirigés le 27 juillet 1941 sur le camp de concentration de Miranda de Ebro où ils moisiront encore quatre mois.  Le 15 septembre 1941,  les grilles s’ouvrent pour ces « Canadiens » reconnus par les Anglais qui les accueillent à leur ambassade de Madrid pour les conduire à Gibraltar.

Le 10 octobre 1941,  Louis Nowé est embarqué à bord du « Leinster »  qui accostera à Liverpool.  Dans ses carnets,  Louis Nowé ne tarit pas d’éloges à l’égard des Britanniques qui l’ont traité comme un frère d’armes,  avec tous les égards dus à son grade et aux services qu’il leur a rendus.  Mais le moral change après son arrivée aux Forces belges à Great-Malvern où l’accueille le général
Daufresnes.   Première maladresse,  à leur arrivée ont les prie d’attendre pour s’installer à l’Abbey Hôtel,  le mess des officiers,  parce qu’une soirée dansante y est organisée.  « Et nous sommes en guerre... » écrit Louis Nowé.

Comme il faisait partie d’un « réseau »,  ses révélations intéressent au plus haut point la Sûreté de l’Etat et en particulier le capitaine Aronstein.  Il est convoqué à Londres par le colonel Diepenryckx et interrogé longuement sur le rapport « Demarche,  Dewez ».  On lui demande même,  dans un but de propagande, de rencontrer la presse britannique et américaine pour leur parler des territoires
occupés.  Mais Nowé refuse de leur parler sans témoin du deuxième bureau et, ironie du sort,  le capitaine Ducq l’accompagne.

Ayant assisté récemment à la télévision,  à un colloque réunissant les membres de la résistance française au sujet de la mort de Jean Moulin,  je n’ai pas pu m’empêcher de penser à Louis Nowé.  Il était de ceux qui étaient soucieux de l’emploi que l’on ferait des forces belges « après le débarquement ».  Il était obsédé par l’idée qu’une « clique » d’officiers de carrière en particulier,  avaient
décidé de ne considérer les forces belges que comme une garde prétorienne destinée à maintenir l’ordre et à garantir la pérennité du régime.  Lui,  l’homme de troupe,  le « baroudeur »,  il voulait en découdre.  C’est la raison pour laquelle Jean Piron qui partageait les mêmes idées,  lui donna la 3e compagnie.

J’ai eu l’honneur de me voir remettre la première décoration de ma vie,  par Louis Nowé.  Nous sommes à Ranville,  le 11 août 1944.  Dans un fossé le long d’une route,  j’amorce des grenades Mills.  Nowé m’interpelle de son « trou » :  « Guy !  Tu es décoré ! ».   Et comme je m’approche de son retranchement,  il me lance un petit paquet.  C’était une boîte contenant la « Croix des évadés » que le gouvernement voulait nous attribuer « avant les opérations ».  Méthode non-conformiste,  n’est-ce pas ?  Mais comment l’oublier ?

   
Hauger,  17 août 1944.
Le Major Louis Nowé,  à droite,  en conversation avec le Colonel Piron.

 

Comment oublier que dans l’enfer de Foulbec il promenait son calme olympien, en sifflottant,  parmi les explosions alors que nous grattions le sol pour trouver un abri ? 
Comment oublier le nombre de fois où il s’opposa à certaines initiatives du commandement,  parce qu’il était économe de la vie de ses hommes ?  Et il nous a été donné d’assister à une entrevue tragique où il fit plier le plus orgueilleux des prétoriens.
Sans religion,  il avait un sens moral tellement élevé qu’il imposait le respect et polarisait la sympathie des jeunes qui venaient lui demander conseil.  Jean-Marie Van Haecke avec qui il s’évada,  n’était-il pas Père Barnabite ? Lorsqu’il fut écarté,  en décembre 1944,  pour prendre le commandement du 20e bataillon de fusiliers dont la fraternelle honore toujours sa mémoire,  il eût ces mots prophétiques :  « Vous serez mangés les uns après les autres... ». Et ce fut vrai.  Louis Nowé fut un des pionniers de la résistance belge.  Dès la fin de l’année 1940,  il se rendait avenue de la Phalène chez Kerkchofs alias Moens ou chez le colonel Lens,  ci-devant chef d’Etat-Major du général Daufresne à la 17e Division et créateur de l’A.S.    Lorsqu’il quitta la Belgique, il laissa son service aux mains de son épouse,  du docteur Goffart et de Marie-Louise Hennin disparue dans les geôles nazies.

La vie de Paul-Louis Nowé a été consacrée au service du Pays et nous tenons à lui rendre ici un hommage particulier qu’on a jadis oublié de lui témoigner parce qu’il était trop modeste.  La veille du jour de Noël 1967,  il s’est éteint avec le souci de nos problèmes actuels.  Lui,  le Bruxellois,  le bilingue,  le Belge dans toute son essence,  était déchiré par nos querelles linguistiques.

La Belgique a perdu ce jour-là,  un de ses plus remarquables citoyens et je puis ajouter en connaissance de causes que la monarchie perdait par la même occasion,  un de ses plus loyaux sujets.


 Le Major Louis Nowé décoré par le Maréchal Montgomery sur la Grande-place de Bruxelles.