Raymond GODFROID - Sdt - Mat 3621

2nd Company - 5th Peloton

 

Article paru dans l'hebdomadaire "FM" du 14 Août 1969

 

 Témoignage du 17 Aout 1944 - Sallenelles-Franceville

La campagne de Normandie pour moi fut courte, car le 17 aout, j’ai sauté sur une mine et ai bien failli y rester.

Dès notre arrivée en Normandie, nous sentions que le secteur allait bouger.

Le Lt Vanderveen  avait été gravement blessé en patrouille. Le 15 aout avec Freddy Verhaegen et Genis, nous avions poussé une solide patrouille de renseignements. A l’état-major de la 2ème on nous avait crus perdus, aussi, quand nous étions rentrés, à l’aube, nos renseignements et... Nous-mêmes étions bien accueillis.

Le 17, au crépuscule, le 5eme Peloton de la 2ème compagnie, le peloton des légionnaires, commandé depuis la blessure du Lt Vanderveen par le cadet officier Vanremoortele, part en patrouille de combat.

Gonflés à bloc, les copains passent à travers la brèche du champ de mines posées devant nos positions. Comme j’ai repéré le coin l’avant-veille, je suis guide de la patrouille. Dans le silence, avec l’angoisse qui étreint tout type normal, car le courage c’est d’être plus fort que sa peur. Agir parce qu’on ne réalise pas le risque porte un autre nom…

Brusquement, une « Sprung mine » explose, puis une seconde et très vite les premiers blessé gémissent. Tout aussitôt, l’ennemi ouvre le feu avec mitrailleuses et mortiers. Cloués sur place, nous ripostons. Certains parviennent suffisamment près pour lancer des grenades Mils vers les positions ennemies. Le cadet Van Remoortele, déjà blessé, signale par radio la tournure des événements. L’état-major lui donne l’ordre de décrocher en ramenant les blessés. Il faut faire place nette rapidement car l’artillerie et les mortiers vont contrebattre les feux ennemis.

Un décrochage n’est jamais simple, mais celui-là était du genre qu’on n’ose pas suggérer dans les écoles.

Secourant un copain blessé, je tente de couper ses courroies de webb avec ma dague, vieux souvenir de mon entrainement para. Elle me tombe des mains. En voulant la ramasser, je pose la main sur le détonateur à 3 pointes d’une « S-mine ». Ces engins étaient d’épouvantables saletés : deux boites à conserve, l’une dans l’autre, surmontées d’un détonateur. Une des boites était bourrée de mitrailles et explosait entre deux et trois pieds de hauteur. Au moment où j’ai posé la main sur le détonateur, j’ai revu avec une extraordinaire précision, la planche didactique consacrée à cette mine. Je tente vainement de la retenir pour qu’elle explose en terre, mais les copains proches et moi-même sommes blessés par les éclats. Sous la conduite de Joseph Gillebert, l’adjoint de peloton, les hommes se replient. Le cadet Van Remorrtele est tué par des éclats de mortier. C’est le 2ème chef que le 5ème peloton perd en 3 jours…

A l’aube, des patrouilles formées par d’autres pelotons viennent recueillir les survivants de cette patrouille. Un copain, le petit Bastin, est fait prisonnier sur le champ de mines par les allemands. Il leur brulera la politesse quelques jours plus tard et réussira à rentrer dans nos lignes. La mentalité d’évadé, on l’a ou on ne l’a pas. Si on l’a, ca ne vient pas à une évasion près…

A notre retour, le brave docteur EVRARD avait fort à faire, distribuant soins, réconfort, et ce fameux rhum de la dotation réglementaire du service de santé britannique.

Le lendemain, la brigade passait à l’offensive et inscrivait le nom de Sallenelles, premier village français dans ses tablettes.

Lorsque Bruxelles fut libéré, j’étais à l’hôpital. J’ai rejoins la Brigade pas entièrement retapé, mais le moral est plus important que la carcasse. Ma Normandie avait été trop brève pour que je rate le reste….

 

 

Article paru dans l’hebdo « FM » , édition du 14 août 1969