DUFRANE Pierre - Sgt - Mat 3762 3rd Unit - 5th Pl - 3rd Sec Leader
|
|
|
Photos et récits transmis par son fils Didier |
Pierre Dufrane est né en 1917. En 1936, il sert au 3ème régiment de Chasseurs Ardennais stationné à Vielsalm. A l'issue de la Campagne de 1940, il est fait prisonnier sur la Lys et envoyé au STALAG XIII A (Nuremberg). En prenant des risques inconsidérés, il s'évade avec quelques compagnons d'infortune. Il s'engage alors à la Légion Etrangère début 1941. En avril 1943, il rejoindra les Forces Belges de Grande-Bretagne.
Il participe, comme chef de section à toutes les Campagnes de la Libération, de la Normandie à l'Allemagne. Il servira la 1ère Brigade "Libération" jusqu'à sa dissolution en décembre 1945.
Ecole Sous-Officier de Leamington Spa, 1943, 2e à gauche au premier rang |
Lowestoft, juin 1944, 5e Peloton d’assaut – 3e Compagnie deuxième rang, 1e à droite |
---|
DESTINATION “NORMANDIE"
Le 31 juillet 1944 dans la soirée, un peloton de chaque unité motorisée (U.M.)
(peloton du Lt. Thumas de la 3e U.M., peloton du Lt. Rogge de la 2e U.M. et le
peloton du Lt. Luyckx de la 1e U.M. embarqua dans un landing ship tanks (LST) à Tilbury. Ils traversent la manche et débarquent au port d’Arromanches.
Ces hommes font partie de l’Advance Party afin de préparer la venue du groupement.
Le 8 août vers 10 heures, le moment tant attendu et espéré des hommes de la brigade
belge est enfin arrivé.
Le débarquement de la brigade commence à Arromanches pour les véhicules, et à Courseulles
pour le personnel. A peine avoir débarqué, une longue colonne se forme. Le Groupement fait mouvement et arrive dans la nuit à Douvres-la-Délivrande et à Plumetot où il s’installe en bivouac.
L’Etat-major passe la nuit au château de Ranville
(comtesse Rohan-Chabot).
Mouvement vers le front
(souvenir de guerre raconté par le Sgt. Pierre Dufrane)
La Brigade devait nous rejoindre quelques jours après notre débarquement à Arromanches dans les prairies de Plumetot, de là nous allions faire mouvement vers les lignes. Tout se passait suivant un calcul très bien réglé et par la filière nous nous trouvâmes à 3 km des lignes. Le soir tombe, le chef de peloton a désigné les s/officiers pour monter la garde pendant le sommeil des hommes ; qu’ils en profitent, demain les choses sérieuses commencent. Dans le lointain nous entendons le claquement sec des mitraillettes, de temps en temps l’explosion d’une grenade, pas de tir d’artillerie ; tout là bas vers l’horizon des fusées montent toutes blanches ; les paras et les commandos auxquels notre brigade est affectée veille et croyez-moi, ils veillaient bien ! Le lendemain matin on replie bagage ; le petit-déjeuner est rapidement liquidé, les troops-carriers sont déjà là et nous embarquons en ce qui me concerne... avec un petit pincement au coeur.
Parmi nous, beaucoup n’ont pas encore eu le baptème
du feu, c’est donc la première fois qu’ils vont être confrontés avec la peur, ils ne savent pas ce que c’est. En les regardant, je pense au troupeau de moutons bien sages...
se laissant guider par le bon berger et ses chiens, en l’occurrence le berger sera dans ce cas le lieutenant et les chiens les s/officiers de sections. Bientôt nous franchissons le
canal de l’Orne à Bénouville et le pont de l’Orne en laissant le village de Ranville sur
notre droite. Le camion s’arrête dans un chemin creux à l’entrée du village de Sallenelles... et en colonne par un nous gagnons les positions qui traversent le village
en le coupant en deux. Avec la troisième section, je suis donc en queue du peloton et
au moment où nous atteignons un barrage de sacs de sable, le lieutenant Thumas me fait signe d’attendre, il se dirige de l’autre côté de la rue suivi des deux autres sections
et disparait dans la ruelle. Après quelques minutes, il revient vers nous et nous entrons
du côté droit de la rue dans une sorte de corridor qui débouche sur un jardin. Je vois venir vers moi le s/officier anglais des commandos et je lui demande des renseignements
élémentaires, il me répond : « si tu ne les taquines pas, ils te laisseront tranquilles », « résultat : il faut aller les chercher ». Drôle, n’est-il pas ??? Aussitôt, les braves anglais disparaissent et nous laissent la place ; mes camarades sont atterrés, ils ne s’imaginaient pas trouver pareille situation. Rien n’était fait, ni en protection, ni en défense ; en plus vers l’arrière de la maison que nous occupons il existe une brèche assez importante. Je vois immédiatement qu’il faut que je réagisse, que je bouge et j’entreprends de me désharnacher de mon équipement tout en invitant les autres à en faire autant. Aussitôt fait et sans rien dire aux hommes, je file chez le lieutenant. En deux mots je le mets au courant de la situation et lui demande sans délai une deuxième équipe
BREN + des sacs de sable en quantité, nos anciens de 14-18 les connaissaient bien !
Quelques minutes plus tard, je suis de retour auprès de ma section et leur annonce ce que je viens de faire ; aussitôt cela va mieux. En moins de temps qu’il ne faut pour le dire
tous sont en torse nu et s’attelent à la besogne. Entretemps, je vois déboucher du couloir
ma deuxième équipe BREN, en deux mots je lui donne sa mission, elle s’occupera elle-même de l’organisation de sa position, mission : battre de ses feux le champ de mines
à notre droite immédiate et qui nous sépare du 3e peloton (flamands) du lieutenant Leo Van Cauwelaert, celui-ci en retour croise son feu avec lui. Le caporal Deman vient me trouver et suggère de renforcer le plancher du grenier, il a déjà trouvé des
poutres destinées à soutenir le poids des sacs de sable (terre) qui se trouvent dans le grenier. Le travail bat son plein et personne ne tire au flanc, d’autres percent à hauteur
d’homme des trous dans la muraille qui fait face à la ligne de feu c.a.d. dans le mur de pignon, des trous laissant juste la place pour passer une grenade Mills. Les caisses de grenades armées sont allongées au pied du mur. Le travail avance très fort, nous sommes en pleine transpiration car il fait chaud.
Le front est calme pour le moment, les frisés n’ont pas l’air d’avoir observé la relève, tant mieux ! A ce moment, quelques hommes venant de la position du 3e peloton passent près de nous, ils vont relever le poste d’écoute devant nous se trouvant dans un chemin creux, échange de quelques quolibets et nous reprenons le boulot. Maintenant le gros du travail est terminé, encore quelques petites choses à faire ici et là, enfin bientôt nous allons casser la graine, fatigués mais bien contents. C’est à ce moment que nous voyons entrer dans le jardin bouleversé un groupe d’officiers avec à leur tête le colonel Piron, un civil aussi qui semble perdu parmi les uniformes. Aussitôt, celui-ci pousse les hauts cris et sa colère contre nous n’a plus de bornes, j’ai l’impression qu’il pique une crise à cause de l’occupation de sa maison, détériorations, etc.etc... Le colonel Piron se charge par quelques mots bien sentis de le ramener à de meilleurs sentiments et à une plus juste conception de notre situation et l’incident est clos. Notre chef veut bien nous féliciter de notre initiative et trouve nos dispositions bonnes, Ouf !!!
Récit des Souvenirs de Guerre du Sgt Pierre Dufrane
Sallenelles, poste d’écoute, la nuit du 15 au 16 août 1944
"Le lieutenant Thumas s’approche de moi et m’annonce qu’à partir de 24h. je suis à l’écoute avec deux hommes ; il me dit de l’accompagner allant lui-même reconnaître le chemin. Le poste se trouve en avant de nos lignes, juste face à notre position, le chemin à travers les vergers est parallèle à la route et tombe dans un chemin creux qui lui est parallèle à la ligne de feu. Je rentre seul et vais prévenir deux hommes, Hanzen et Van Santen, appartenant à la 1ère et 2ème sections. L’heure passe, nous nous reposons en fumant force cigarettes et en échangeant nos impressions. Vers le soir nous retirons nos grosses godasses, non pas pour le confort mais pour le bruit. Pour ma part j’essaie de dormir mais je n’y parviens pas, et vers 23h30 je traverse la rue et vais prévenir mes compagnons. Il fait très chaud, la nuit est lourde, de temps en temps une fusée monte dans le ciel plein d’étoiles. Je prends le revolver lance-fusée du peloton et retourne avec Hanzen et Van Santen à ma section, nous prenons la Sten avec chargeurs à volonté, couteaux et grenades, mon B.D. est bien rempli. L’Heure est venue, je préviens Bob Deman que nous partons.
Aussitôt sortis, nous nous engageons sur le petit chemin conduisant au poste. A peine avons-nous fait quelques pas qu’un claquement nous immobilise tous les trois, pendant quelques secondes nous retenons notre respiration ; enfin, nous comprenons que c’est la porte d’une grange qui a claqué et nous reprenons notre marche. Je ne suis plus très sûr de notre route mais n’en dis rien aux copains et je continue. Nous arrivons dans le chemin creux, mais je ne vois rien car il fait très noir à cause des buissons très hauts qui bordent le chemin. Je me décide alors de lancer un léger sifflement et au deuxième essai des ombres viennent vers nous en faisant des gestes et je suppose que nous y sommes, pas un mot, et nous prenons leur place. L’attente commence mais aussi les piqûres de moustiques, c’est infernal et cela malgré notre filet de camouflage placé sur notre tête et notre bonnet de laine par dessus. Je suis assis sur mes genoux et commence à ressentir des crampes aux mollets et aux cuisses, je dois absolument changer de position mais n’ose pas. A la fin je suis forcé de m’y résoudre et doucement j’opère le changement, non sans mal. Les minutes passent lentement, près de nous s’élèvent quelques fusées bien haut dans le ciel, de temps en temps un fusil lâche son coup et nous entendons siffler la balle qui va se perdre Dieu sait où ! Depuis quelques minutes j’ai l’impression d’une présence étrangère devant moi dans les buissons, je n’ose pas bouger, mes camarades sont sur ma droite, vraiment je n’ose pas faire un mouvement et c’est à ce moment que je sens une main se poser sur mon épaule, c’est Hanzen qui m’indique notre droite où venant de la direction de l’ennemi et descendant dans le chemin creux, il y a une haie vive et je vois, oui je vois des allemands longer celle-ci et descendre dans le chemin à environ 5 mètres de nous. Ma première pensée est « pourvu que personne de nous trois ne doive tousser », il y a entre 20 et 25 hommes tous casqués, ils chuchotent et se concertent entre eux ! Nous sommes immobiles, un rien nous trahirait, un mouvement, un rien quoi ! C’est alors qu’ils remontent l’autre côté du ravin et s’engagent vers nos lignes ; à moi d’intervenir maintenant et j’engage une cartouche fusée dans le canon du revolver et j’envoie celle-ci en biais pour ne pas trop faire connaître l’endroit d’où elle sort. Les nôtres sont prévenus, à eux de jouer et croyez-moi ils ne manquent pas de le faire, car au même instant une nappe de balles passe par dessus nos têtes. De la patrouille allemande nous n’en voyons plus rien et c’est maintenant le calme après l’orage..., petit orage, grâce à Dieu ! Mais il y a toujours ces maudits moustiques qui nous harcèlent constamment et je me demande quelle tête nous aurons demain. Normalement, je dois être relevé à 2h. du matin et nous attendons. Bientôt nous voyons poindre l’aurore, d’abord bien faiblement, les premiers cris d’oiseaux se font entendre dans la ramure, je ferme les yeux un instant et je ressens un moment de paix infinie inonder mon coeur, je ne suis plus sur le front mais loin d’ici, dans mon pays, parmi des gens gentils, polis, plein d’urbanité. Brusquement, je suis sorti de ma brève rêverie par un rayon de soleil jetant ses feux allègrement. Eh oui, il est 4h. du matin, l’on nous a oublié, quand allons-nous être relevés ? A ce moment, j’entends venir de notre côté les releveurs, l’on a tout simplement sauté une garde, merci !"
Début du chemin creux, anno 2011. Lieu du récit raconté par le Sgt. Dufrane. |
Vue sur la baie de Sallenelles en descendant le chemin creux vers la route départementale D514 |
---|
Bruxelles, le 6 septembre 1944 |
Tamise, janvier 1945, avec sa fiancée |
Oelde (Wesphalie), Allemagne, mai 1945, au millieu |
Le 27 novembre 1945, le Sgt Dufrane se marie avec Lucienne Verhulst |