THUMAS Louis - Lt - Mat 4447

3ème Compagnie - 5ème Peloton

 

Lt Louis Thumas
3e compagnie – 5e peloton d'assaut
Matricule : 4447

 

Louis Thumas est né le 10-02-1915 à Alost.  Elève à l’Ecole des Cadets,  sergent au 13e régiment de Ligne,  il est nommé en 1938,  sous-lieutenant au 2e régiment de Chasseurs Ardennais.  Au moment où la France et l’Angleterre déclarent la guerre à l’Allemagne,  il passe au 5e régiment et se trouve le 10 mai 1940,  en ce jour fatidique de l’invasion de la Belgique,  responsable du pont de Godinne,  à Annevoie-Rouillon.  Il fait sauter le pont,  comme prévu,  et avec son régiment,  se replie sur la Dendre et la Lys.
La capitulation du 28 mai trouve Louis Thumas épuisé.  N’était-ce point le sort de tous les combattants belges et en particulier des fantassins qui,  par étapes forcées et entrecoupées de combats,  essayaient de freiner l’avance d’un envahisseur motorisé ?  Par ordre de l’ennemi Louis Thumas est séparé des hommes qu’il commandait et est embarqué dans un train,  près d’Hasselt.  Deux jours plus tard,  il est un des nombreux officiers prisonniers de l’Oflag VI A à Soest.  Dès les premiers jours de cette captivité qui,  pour la plupart de ces malheureux,  allait durer cinq longues années,  les candidats à la cavale se reconnaissent.  Léon Mentior,  Pierre Lemercier,  Victor Van Laethem,  Kervyn de Meerendré dit le « John »,  Bachelaert,  Florent Ledent,  le major d’artillerie Legrand : tous sont claustrophobes,  allergiques au manque de liberté ;  ils vont échafauder les plans les plus fous pour sortir de cette cage de fils de fer barbelés.  Mais le séjour à Soest ne dure pas.  Un convoi se forme et se dirige vers l’est.  Comme les premières semaines de la captivité ont été marquées par le régime de famine qu’ils viennent de subir,  les prisonniers épuisés ne tentent pas de profiter de ce changement de camp pour s’évader.  Les voilà dans l’enceinte de Tibor,  aux confins de l’ancienne frontière polonaise.
Mais le séjour à Tibor ne dure pas.  Les jeunes officiers sont dirigés sur Neubrandenbourg.  Ensuite destination Prenzlau,  juin 1941.  Le colonel Bolle et le commandant Regnier mettent sur pied leur réseau d’évasion.  Louis Thumas écrit : « Les temps sont venus... ».  Ceux des grands départs.  Victor
Van Laethem ouvre la marque.  Louis Thumas prend une option.  Un plan s’ébauche dans sa tête : « Il faut profiter de la sortie d’un véhicule se rendant à la gare ».  Peu de véhicules convenaient à ce genre de sport.  En effet,  à l’entrée du camp,  dans le sas de contrôle,  le chargement des camions était vérifié à l’aide de piques de fer,  du type ringard et qui sondaient le contenu du véhicule.  Les camions poubelles échappaient à ce contrôle mais faut-il préciser que ce genre de transport était exclu.  Il y avait enfin ce que les prisonniers appelaient « le camion-wagon colis » qui évacuait du camp tout le superflu que les officiers avaient amoncelé au cours des mois de leur captivité.  Alors que Louis Thumas met ses espoirs dans cette dernière formule,  il assiste en 1943, au mois de juillet,  à la spectaculaire évasion de Léon Mentior qui emmène douze officiers dans son sillage.

Plan du camp de l’Oflag II A de Prenzlau

 

  

LE TEMPS DE LA CAVALE DE NOTRE « CHEMINOT » THUMAS.

En prévision du grand voyage,  Louis Thumas avait décidé d’abandonner son cher bêret vert de Chasseur Ardennais.  La coiffure était trop voyante.  Il emprunta à Pothy,  estafette motocycliste de son ancien bataillon,  un calot qui le rendrait plus anonyme.  Le 25 septembre 1943,  il est fortement enrhumé.  Le médecin le dispense de la cérémonie de l’appel à l’extérieur.  Mais quatre jours plus tard,  Davoine rentrant de cette prestation,  annonce que l’on charge le « camion-colis ».  Branle-bas de combat :  Louis plonge dans ces frusques,  se précipite vers les garages et essaie de se mêler à la corvée de chargement.
Mais l’un des plus dangereux gardes-chiourmes du camp,  Nuns,  l’a repéré et hurle : « Das ist kein Soldat ! » (Celui-là n’est pas un soldat!). Thumas n’insiste pas et s’éclipse.  Découragé,  il fait un tour de camp avec le commandant Regnier quand il apprend par l’un des soldats de corvée,  que la séance de chargement n’est pas terminée.  Le camion effectuera encore une fois,  le trajet qui sépare le camp de la gare.  Louis Thumas pénètre dans le local de chargement et se mêle aux soldats de corvée qui entrent immédiatement dans le jeu.  Lorsque le camion se présente en marche arrière dans le dépôt pour y achever le chargement,  il grimpe dans la caisse avec un soldat.  Le vin est tiré, il faut le boire...  Voici comment Louis Thumas raconte la suite :
« La situation semble favorable.  Les ridelles du camion sont très hautes et les quatre sentinelles spécialement désignées pour surveiller la « régularité » du chargement,  sont coincées par les murs latéraux et n’ont pas vue à l’intérieur de la caisse.  La première phase semble avoir réussi.  Je perçois le tassement des derniers colis,  la ridelle que l’on verrouille,  les chauffeurs et convoyeurs qui s’installent,  la mise en marche,  l’arrêt dans le sas,  le « fritz » qui monte dans la benne,  le « fertig » de rigueur et me voilà en route pour la grande aventure et dans l’immédiat vers la gare de Prenzlau.  Arrivé à la gare,  la chance était de mon côté,  je dégringolais du camion au moment « choisi » sans être repéré.
Je me refuge à contre-voie où je me trouve momentanément à l’abri des vues.
J’y suis rapidement rejoint par un homme de corvée.  Il me signala la présence de prisonniers français qui venaient travailler régulièrement à la gare et qui pourraient peut-être m’aider.  Afin de ne pas rester à découvert,  je grimpe dans la cabine du serre-frein du wagon voisin,  pour y réfléchir.  J’avais un excellent poste d’observation.  Il ne devait pas être loin de midi car la gare de marchandises se vidait de tout personnel.  Je décidais d’essayer de rentrer dans le wagon-colis.  Je fis sauter le plomb (que je récupérais avec son bout de ficelle).
La ferrure manoeuvra sans rechigner,  bonne surprise,  à la première poussée,  la lourde porte coulissa d’une vingtaine de centimètres.  Il ne me fallait guère plus, j’étais à l’intérieur du wagon.  Le hasard voulut que je retrouve assez rapidement l’un de mes deux colis que j’avais emmenés lors de mon évasion du camp.
Il contenait entre-autres deux paquets de biscuits et du sucre,  l’autre colis contenant une précieuse réserve d’eau qui resta introuvable.  Le soir commençait à tomber quand des pas se firent entendre dans le voisinage du wagon.  Ils furent suivis de bruits de chaînes et de fers d’attelage.  Cela bougeait... enfin !  Il y eut un choc,  un accrochage,... un autre choc,... un autre accrochage,... ainsi de suite,... et finalement le départ !  Je sombrai dans le sommeil.  Lorsque la demi-lumière qui filtrait dans le wagon me réveilla,  un panonceau indiquait « Eberswalde ».  Un problème me préoccupait,  la question de boisson se posait.
Une véritable psychose se créait,  je venais de « pointer » mes premières vingt quatre heures sans eau... il fallait aviser et agir.  Il n’était pas recommandable de tenter une sortie en plein jour.  « Ma » rame se révélant toujours parfaitement inerte,  je décidai d’attendre le soir pour sortir de mon wagon.  J’avais trouvé dans un colis une boîte métallique pouvant contenir environ deux litres.
Le soir tombait rapidement en cette fin de septembre 1943 et ayant ouvert la lourde porte,  je plonge dans le noir avec ma boîte vide sous le bras.  Je repère face au mien,  d’énormes wagons citernes pour m’orienter au retour...  Je m’avance vers le « wagon bureau »,  j’en fais le tour et me risque à jeter un coup d’oeil à l’intérieur,  par le trou de la serrure.  Juste en face,  en pleine lumière,  un imposant képi ... inutile d’insister !  Je ne m’étais pas plus tôt redressé qu’un crissement de gravier derrière moi,  me figea.  J’aperçus une silhouette qui s’avançait une lanterne à la main vers moi.  Je rassemblais les quelques bribes d’allemand que j’avais assimilées pour sortir ex-abrupto à l’adresse de l’impressionnant quidam qui m’écrasait de son énorme silhouette :  « Who kan ich Wasser finden ? ».  Dans le noir,  l’inconnu fit un grand geste vers la gauche :
Ach... hier nicht... door Lager... zweite Barake… Mitteltür!   Je gratifiai mon interlocuteur d’un “Danke schön”!  Le temps de me reprendre,  je suis dans les “sanitaires”.  Rapidement je remplis mon bidon et quitte les lieux.  Ma sortie doit avoir duré une bonne demi-heure.  Finalement je retrouve mon wagon et m’y refuge comme dans une tanière.  Refermer la porte et savourer une goulée d’eau.
Je finis par m’assoupir et dus bien dormir car lorsque j’ouvris les yeux le grand jour filtrait au travers des fentes du wagon.  Le train roulait à petite vitesse,  c’était le 1e octobre 1943.  Puis ce fut une autre importante gare « Wustermark » à l’ouest de Berlin,  à plus de 120 km de Prenzlau.  Je pus observer le remplacement de la locomotive de banlieue par une machine des grandes lignes.

Et l’on se remit en route.  Le trein se dirigeait vers l’Ouest avec une allure assez régulière.  Les gares de Rathenau et Stendhal furent dépassées.  L’approche de Hanovre fut marquée par un fort ralentissement et même par un arrêt prolongé.
Le complexe fut traversé à petite vitesse et la nuit tombait au moment d’aborder Bielefeld.  Finalement,  le 2 octobre 1943,  les panneaux m’indiquaient que j’étais en gare de Duisburg.  Je n’étais donc pas encore sorti du Grand Reich allemand mais la frontière n’était plus loin.  Après un temps d’arrêt,  remise en route à petite vitesse,  traversée de Munchen-Gladbach.  Le convoi incurvait sa course vers le nord-est et c’est au seuil d’un poste frontière hollandais que le train s’arrêta.  Changement de machine : une loco hollandaise se porte en tête et me voilà roulant en Hollande.  Arrêt prolongé à Roermond et remise en route cap à l’ouest, traversé de la gare d’Eindhoven,  on passe Tilburg,  où va-t-on bon-sang ?  Nouveau ralentissement : un nom sur les panneaux « BREDA » !
Anvers apparaît dans la ligne de mire,  le moral remonte.  On passe Rosendael et voilà le poste frontière !

 
Enfin,  le retour en Belgique,  ce fut pour moi déjà une première victoire !

Le soir tombe : long contournement d’Anvers.  Le train roule vers Schaerbeek,  sa destination.  L’une de mes soeurs habite Malines.
Brusquement le train ralentit très fortement,  il y a un quai... en cendrée,  je n’hésite guère il faut faire vite et... je saute.  Le choc est rude,  quelques éraflures au front et à la main mais toutes les articulations jouent... cela va !  Le quai sur lequel j’ai déboulé est le seul qui se prolonge aussi loin des bâtiments.  La ville est à ma droite,  cette partie des installations ferroviaires est clôturée par un mur, je m’en approche,  je pourrais facilement me hisser dessus mais,  par une fausse image qui « obture » ma mémoire je m’imagine le côté rue beaucoup plus haut qu’il ne l’est en réalité.  A quelques centaines de mètres de là,  le mur se prolonge par une grille.  Je passe la grille et observe.  Je connais mal la ville.  Je finis par m’informer auprès d’un des rares passants.  Il me renseigne :  la rue Notre-Dame est à deux pas.  Arrivé devant la maison de ma soeur,  je donne trois coups de sonnettes.  Derrière la porte vitrée,  une silhouette confuse s’approche,  je devine ma soeur.  La porte fut ouverte et c’est après un instant d’hésitation qu’elle m’eut reconnu.  Il est difficile de décrire les émotions ressenties alors et les scènes qui suivirent.  En cette première nuit en liberté « conditionnelle »,  j’ai mal dormi !
Je n’étais plus accoutumé au moelleux d’un bon matelas.  L’aube du 3 octobre 1943 pointait.  Me voici 91 rue Notre-Dame à Malines !

 Mon père prévenu,  sera là dans le courant de l’après midi.  Il faut trouver un contact « hébergement » et un contact « voyage ».  Pour l’hébergement,  père prend contact avec les Van Overstraeten à Bruxelles.  C’est l’accueil d’emblée.  Ils m’hébergeront pendant 18 à 20 jours qu’il me faudra,  pour organiser la suite du voyage.

 

Louis Thumas en octobre 1943

 

LE PELERINAGE A LOURDES

Dans la nuit du 20 octobre 1943,  Louis Thumas s’embarque dans le train Bruxelles-Paris.  Dans un hôtel situé près de la gare du Nord,  il doit demander
Monsieur Victor,  de la part de Monsieur Jean.  Monsieur Victor apparait. 
Louis Thumas est considéré avec suspicion puisqu’il s’est introduit,  à Bruxelles,  dans une filière destinée à l’évasion d’Hollandais.  On l’envoie près des Jardins du Luxembourg,  au boulevard Saint-Michel,  où il sera hébergé dans une modeste chambre.  Il est bientôt rejoint par un jeune homme d’Anvers :
Jan Joors.  En fait,  Louis Thumas attend d’être « identifié ».  Il devait convaincre ses interlocuteurs,  de la pureté de ses intentions !  Au cours d’un repas avec Jan Joors,  chez leur hôtesse qui a invité Madame Le Chevalier et son fils,  Louis dévoile une partie de son passé.  Il incarne la discrétion et la simplicité.  Il a du vaincre sa modestie naturelle pour raconter son évasion d’Allemagne et la captivité qui l’a précédée.  Pendant ce repas il évoque des souvenirs extrêmement précis du père Laffineur,  de plus,  les « prémonitions » de l’aumônier de la chambre voisine à Tiborlager allaient,  inopinement,  à trois ans de distance,  me permettre de situer à un jour près,  la date du retour du pèreLaffineur en Belgique.

Ce dernier point et autres détails sur les activités de ce religieux au camp de Tibor devait avoir favorablement impressionné « l’auditoire ».  Dès le lendemain j’avais rendez-vous avec Monsieur Paul,  un Polonais vivant dans la clandestinité à Paris.  Il me fournit des papiers d’identité attestant de mon état d’ingénieur en « bouchonnerie » dans une entreprise des environs de Tarbes.  Dans les quarante huit heures,  Louis Thumas est chargé de convoyer trois Hollandais jusqu’à Toulouse et Lourdes.  Ainsi Louis,  devenu un habitué des chemins de fer se retrouve,  pour un long voyage de nuit,  sur le rail qui le mène vers d’autres aventures.  Monsieur Paul sera de ce voyage,  il escorte trois aviateurs alliés.  A Toulouse,  je dois prendre des billets de chemin de fer pour Lourdes où je devrai me rendre,  flanqué de mes trois Hollandais.  Monsieur Paul,  que je ne devais plus revoir par la suite,  disparaît avec les Anglo-saxons.  L’attente ne sera pas longue et nous roulons bientôt vers Lourdes où nous arrivons sans encombre.  A Toulouse j’avais reçu trois adresses à mémoriser,  La première : Madame Martinet... !  La deuxième : Mademoiselle Basterre... !
La troisième : « Non je ne vous la donne pas,  vous n’en aurez pas besoin ! ».
Arrivé à Lourdes,  j’abandonne mes compagnons à une terrasse et descends seul en ville à la recherche du gîte.  Après plusieurs tentatives en vain,  nous parvenons finalement à joindre Madame Martinet.  Le soir était déjà tombé.  Repas léger,  repos tout aussi léger.  Départ vers Pau par le train de huit heures.
Madame Martinet convoie deux Hollandais,  je suis mis en charge du troisième.
Le matin du 3 novembre 1943,   nous prenons le train vers Pau.  Le trajet se poursuit sans incident.  A Pau,  l’on se retrouve dispersés au hasard des stalles dans l’église.  L’attente est longue,  finalement Madame Martinet reparaît.
Dans une rue voisine,  une voiture nous conduit vers Mauléon.  Nous trouvons refuge dans une sorte de ferme auberge.

TRA LOS MONTES

5 novembre 1943.  Le passage des Pyrénées vers le territoire espagnol !
Avec l’aide d’un guide basque,  celui-ci attend que l’obscurité soit complète pour nous emmener par les sentiers,  puis des pistes de plus en plus étroites dans les premiers contreforts des Pyrénées.  Il pleut.  Le terrain devient gluant,  on glisse, on se suit à la queue leu leu.  Après deux heures,  brève halte au chalet du guide.
La folle équipée reprend dans une nuit noire d’encre.  La progression continue,  il est deux heures du matin lorsque nous atteignons un refuge.  Malgré l’inconfort et le froid,  on somnole.  Le guide nous remet en mouvement au moment où l’aube pointe.  L’allure s’accélère,  je m’essouffle... Le jour s’est levé et le site est grandiose.  La marche forcée continue.  Le guide nous avertit : « Nous arrivons à un point critique.  Franchir dans la foulée,  et en souplesse ! ».  Il nous indique dans le lointain,  le point qu’il faudra atteindre : le Col d’Aphanise.  Rapidement à bout de souffle,  je suis distancé.  Le relief s’accentue et en tête,  l’allure s’en ressent.  Peu à peu je regagne le terrain perdu.  En fin de matinée,  j’aurai rejoint le groupe.  Le Pic des Escaliers où nous faisons halte vers midi est blanc de givre.
Repas !  Un biscuit,  deux morceaux de sucre,  une gorgée d’eau et la marche reprend.  La piste est sinueuse et rarement,  je me suis senti aussi désorienté.
Il doit être quatre heures de l’après-midi quand le guide nous arrête pour une brève halte.  Il tend le bras pour nous indiquer un contrefort boisé,  là-bas,  bien loin : « Là !  C’est l’Espagne ! ».  Nous reprenons la marche,  je me retrouve en tête du groupe,  ma défaillance de ce matin est oubliée.  Nous marchons longtemps avant que le guide ne s’arrête.  Soudain,  il indique un repère : une borne frontière !  Un pas encore,  et nous sommes en Espagne !  Nous nous séparons de notre guide.  A Orbaïceta,  Louis Thumas fut accueilli par la Guardia Civil qui dressait le procès-verbal de la déclaration des évadés.  Il avait avoué aux policiers espagnols qu’il était un prisonnier de guerre évadé de l’Oflag II A,  à Prenzlau.  Louis venait de garantir sa propre liberté surveillée.  En effet,  l’Espagne était signataire d’une Convention de la Haye,  antérieure à celle plus connue de Genève.  Cet accord garantissait le libre transit en pays neutre,  des prisonniers de guerre évadés.  Louis Thumas est conduit à Pampelune par des policiers.  Ceux-ci vont jusqu’à lui offrir un repas dans un restaurant.  On le loge à Lucumberri,  à mi-chemin entre Pampelune et San-Sebastian.  Il entre en contact avec le consulat de Belgique,  et la « Fée du logis »,  Lizariturri,  entre en scène.  Celui-ci a fait passer récemment le major Legrand et Florent Ledent.
L’homme d’action du consulat de Belgique à San-Sebastian ne tardera pas à soumettre le passeport de Louis Thumas à l’autorité espagnole.

Le 17 décembre 1943,  accompagné de Van Meerbergen et CarlosThumas est en route pour Madrid.  A son arrivée à la gare,  il tombe sur un camarade de promotion,  J. Charron.  Malgré les papiers,  l’anxiété est grande au poste frontière de Valenca de Alcantara qui sépare l’Espagne du Portugal.  Sait-on jamais ?  Le train se remet en marche et la porte du compartiment s’ouvre :
« Messieurs !  Je vous félicite,  vous êtes en Portugal ! ».  De tous les trains que Louis Thumas a pris depuis quatre ans,  n’est-ce pas le meilleur ?
Rua San Felix,  Louis est accueilli par le major Gilliart et le lieutenant Libert.
Il fut embarqué dans un hydravion à destination de Londres.

GRANDE-BRETAGNE

A la sortie de Patriotic School,  le 24 janvier 1944,  Louis Thumas rejoint les forces belges de Grande-Bretagne.  En mars 1944,  alors que les Forces Alliées préparaient fébrilement le débarquement en Normandie,  un jeune officier de la Brigade Piron fut désigné pour suivre les cours de l’Ecole d’Infanterie de Barnardcastle.  Le sous-lieutenant Louis Thumas allait être mis au courant des méthodes modernes de combat.  Dans l’échantillon des cours de « recyclage », on relevait deux journées consacrées au sujet suivant :
« Comment réagir en cas de capture ou de reddition ?  Comment s’évader ? »
Ironie du sort : Louis Thumas était orfèvre en la matière...
Après avoir terminé son instruction à l’Ecole d’Infanterie,  il est affecté à la 3e compagnie du 1e groupement,  où il prend le commandement des « têtes dures » du 5e peloton d’assault.  Que vouliez-vous que les Légionnaires apprennent à cet aventurier de grande classe ?  Chasseur Ardennais,  l’homme du pont de Godinne qui traversa le Reich dans un wagon plombé et franchit le Pic des Escaliers... 

 

LE 5e PELOTON D’ASSAULT DE LA 3e COMPAGNIE INDEPENDANTE
(dit peloton des légionnaires)
Cet ordre de bataille manuscrit a été établi à Shepreth,  le 21 juillet 1944.
Quinze jours plus tard,  on débarquait...

Matériel Fonction Titulaire
     
Pistol Platoon Cdr S/Lt Thumas Louis
  Platoon Sgt 1Sgt Rivière M.
  Driver 15cwt L/Cpl Dinant E.
Sniper Batman L/Cpl Pauchenne H.
  Runner Pvt Vanden Abbeele R.
  Mortier n°1 Pvt Winand J.
PIAT Mortier n°2 Pvt Piret F.
     
  Function 1st Section 2nd Section 3rd Section
Stengun Sec. Cdr
Lauwereins E.
Cocriamont C.
Dufrane P.
  Adj
Deman P.
Raman R.
Moray L.
Brengun Bren n°1
Bodart J.
Michel J.
Pauchenne A.
  Bren n°2
Debiève L.
Hanzen G.
Kisteman A.
Lee Enfield 4MkI Rifleman 1
Mureau J.
Schoentgen A.
Stevens L.
  Rifleman 2
Beuken R.
Haurez C.
Bruyneel M.
  Rifleman 3
Debry J.
Binard V.
Schodet G.
  Rifleman 4
Vincinaux J.
Lefever V.
Delmay R.
  Rifleman 5
Decock J.
Conreur C.
Velders A.
  Rifleman 6
Van Santen S.
Eveling J.
Gérard E.
Reserve  
Lanoy J.
Ultier

 

CAMPAGNE DE NORMANDIE

Le 31 juillet 1944 dans la soirée,  un peloton de chaque unité motorisée (UM) (peloton du Lt. Thumas de la 3e compagnie,  peloton du Lt. Rogge de la 2e compagnie et le peloton du Lt. Luyckx de la 1e compagnie),  embarque dans un landing ship tanks (LST) à Tilbury.  Ils traversent la manche et débarquent au port d’Arromanches.
Ces hommes font partie de l’Advance Party afin de préparer la venue du groupement.

 

Advance Party à Arromanches

 

Anecdotes du Lt. Thumas

Le 8 août vers 10 heures le débarquement de la brigade commence à Arromanches pour les véhicules et à Courseulles pour le personnel.  Le Groupement arrive dans la nuit à Douvres-la-Délivrande et à Plumetot où il s’installe en bivouac.  Le 9 août,  dans la soirée,  le Groupement relève la 5e Brigade britannique de commandos.  Le 13 août,  la 3e compagnie du major Nowé,  dont le 5e peloton du Lt. Thumas est en ligne au contact de l’ennemi dans le village de Sallenelles.
Le 16 août, les soldats belges sont soumis à de nombreux tirs de mortier.  C’est par un éclat d’obus que Edouard Gérard s’écroule,  le premier de la brigade et le plus jeune volontaire meurt sur le champ d’honneur.  Il appartenait à la 3e section,  celle du Sgt. Dufrane,  il est le premier tué du 5e peloton du Lt. Thumas.  Le soldat Camille Haurez est blessé au pied.  Gérard est enterré au cimetière militaire de Ranville au milieu de nos camarades paras et commandos de la 6th Airborne Division.  Le 17 août, opération « Paddle »  Le matin très tôt l’attaque devait se déclencher venant de notre droite c.a.d. de Merville.  C’était la 1e compagnie qui attaquait en direction de Moulin du Buisson,  position allemande qui nous faisait face et se trouvait être trop forte pour être attaquée de front !  Vers midi,  les nouvelles qui nous parviennent sont bonnes et déjà au début de l’après-midi nous sommes en mesure de faire mouvement le long de la route qui mène à Franceville.  Vers 5h. nous recevons l’ordre de nous installer pour la nuit.  Le 18 août, à 5h. du matin,  nous reprenons la route et en colonne par un,  c.a.d. 1e ,2e et 3e section,  nous nous dirigeons vers Cabourg.  Après quelques kilomètres de marche nous entrons dans Cabourg désert et nous nous trouvons devant la « Dives ».  Le pont a sauté et il est environ 7h. du soir lorsque une passerelle est établie et que le peloton monte vers Houlgate.  Le 21 août,  l’on entend des coups de feu et des explosions de grenades.  La route monte très fort,  nous transpirons... nous sommes fatigués mais il faut tenir,  d’autres que nous et tout aussi fatigués que nous, sont en ce moment au combat,  eux ne sentent plus la fatigue !  Nous approchons maintenant du sommet de la côte et nous entendons des grincements de roues de charrette accompagnés de hurlements et de juron, c’est un paysan qui ramène vers l’arrière des blessés de la 1e compagnie.  C’est le drame d’Auberville,  la première section du 5e peloton appartenant à la 1e compagnie était tombée dans une embuscade avec comme conséquence l’anéantissement de toute la section.  Bientôt,  nous laissons derrière nous les pauvres gars et continuons.  Nous arrivons bientôt sur la position en soutien de la 1e compagnie...  Le soir tombe et nous creusons en silence nos trous pour la nuit,  lieutenant Thumas a établi un tour de garde distribué à tous les chefs de sections.  La nuit se passe dans le calme,  quelques grenades explosent et vers 4h.30 du matin nous recevons notre ravitaillement.   Enfin la progression reprend,  cette fois nous sommes accompagnés du charroi de combat,  celui-ci ayant passé la Dives par un pont construit par notre Génie.


Auberville,  le 22 août 1944,  le 5e peloton de Louis Thumas
au repos,  à l’avant plan : Dinant (avec lunettes sur le béret),  Deman,  Hanzen (torse nu) et les autres membres du peloton

Dans l’après-midi nous faisons notre entrée dans Villers-sur-Mer pavoisée aux couleurs belges,  la population est en délire   et nous fait un accueil chaleureux.  Vers le soir nous bordons la rivière « la Touques »,  le pont a sauté.
Le 23 août,  nous traversons la Touques avec l’aide de la population de Deauville.  Le colonel Piron donne l’ordre à la 3e compagnie de reprendre la progression,  nous démarrons vers 8h.30 sous une petite pluie fine.  Notre peloton prend la tête et l’avance est difficile car nous nous heurtons à des mines et des bouchons de résistance qui nous obligent à nous déployer, la 3e section est en extrême pointe et avance en éclaireur.  La fatigue est immense et nous gardons toute notre attention car derrière nous il y a toute une brigade qui se fie à notre travail. Nous pouvons voir accrochées aux haies des plaques « Danger Mine ».  Depuis quelques temps les résistances ont faibli et nous dépassons une plaque qui nous indique « Honfleur 2km »,  lieutenant Thumas vient de recevoir par radio l’ordre de s’arrêter et donne ordre à ses 3 sections de creuser des trous individuels... malgré les plaques « Danger Mine » que nous avions remarquées le long de la route.  Ce qui devait arriver,  arriva !  Une formidable explosion se produit,  un de nos gars avait marché sur une mine... c’est Raymond Vanden Abbeele,  homme de liaison du peloton.  Le deuxième tué de notre peloton !  Il repose dans le petit cimetière de Pennedepie.  Les gens de Pennedepie,  hameau de Honfleur,  lui ont fait des funérailles dignes de lui.  Le 24 août,  à Honfleur,  la Brigade était de 8 km en flèche sur le reste de la Division,  nous pouvons être fiers,  le travail des hommes a été très bon.  Le 25 août,  Honfleur fut libéré.

Après la libération d’Honfleur,  ce fut le drame de Foulbec,  le 26 août nous arrivons en vue du carrefour de Foulbec, le 3e peloton du Lt. Léo Van Cauwelaert
ouvre la marche suivi du 4e peloton et du nôtre.  Les allemands installés sur les hauteurs derrière la rivière « La Risle » nous observent,  ils nous laissent approcher
le plus près possible.  Tout à coup l’enfer se déclanche,  des éclats d’obus sifflent à nos oreilles,  c’est la panique,  le sauve-qui-peut,  le déluge,  l’enfer quoi...
Le remarquable sang froid du Colonel Piron,  il est présent parmi nous à cet instant et prend ses hommes en main et dirige la manoeuvre.  Petit à petit nous nous organisons et évitons la débacle totale.  Malheureusement nous déplorons  un tué,  Francis Mouchet et un tas de blessés parmi nos hommes.
Finalement nous arrivons a éliminer l’ennemi à l’aide du support aérien,  les Typhoons liquident les nids de résistances allemandes !   Ce fut notre dernier accrochage  avec l’ennemi sur le territoire Normand.
Le 29 août,  le Groupement passe sous les ordres de la 49e division britannique.
Le 31 août,  nous traversons la Seine en plusieurs endroits.  Le 2 septembre,  nous passons sous le commandement du XXXéme Corps britannique.  La Division Blindée des Guards,  dont fait partie à présent le Groupement belge,  reçoit l’ordre de se lancer sur l’axe Arras,  Douai,  Tournai,  Hal et Bruxelles...

La libération du pays

Le 3 septembre,  à 16h36 le premier véhicule de la Brigade Piron passe la frontière belge à Rongy.  Le 4 septembre,  à 9h30,  le commandant Adair de la Division Blindée envoie ses ordres pour l’entrée à Bruxelles.
A 15 heures,  la tête de colonne belge pénètre dans les premiers faubourgs de Bruxelles.  Une foule en délire nous accueille...                                            
Après la libération de Bruxelles,  le 11 septembre,  nous faisons mouvement vers le Limbourg,  nous passons le canal Albert à Beringen et prenons la direction de Heppen.  Là,  nous subissons un tir violent de l’artillerie allemande.
Le charroi arrêté sur le côté de la route nous prenons refuge dans les fossés,  heureusement à sec à ce moment-là.  Un de nos camions de tête est touché,  hélas,  le chauffeur,  soldat Joseph Van Oppens est tué par un éclat d’obus.
Quelques heures après,  à la tombé du soir,  nous prenons position dans la ligne droite de la route qui conduit à Bourg-Léopold et de loin nous apercevons le passage à niveau du chemin de fer.  Le lendemain matin,  nous avons libérés la ville et  un camp de prisonniers politiques.  Nous nous sommes installés dans une maison qui avait été incendiée.  Après deux jours,  l’ordre nous parvient avec comme objectif : Kerkhoven,  nous y sommes restés quelques jours en observation,  puis nous avons fait mouvement vers Kaulille où nous avons pris position sur le canal de Campinne.  Enfin,  nous quittons ce secteur et nous faisons mouvement vers un petit village au sud de Maaseik,  Heppeneert qui se trouve le long de la Meuse.  Nous tenons là quelques éléments de tranchées,  les allemands se trouvent de l’autre côté du fleuve.  Le 23 septembre,  nous sommes certains d’après les renseignements rapportés par nos patrouilles,  que l’ennemi tient la rive Est du Canal de Wessem.  Le lendemain,  nous nous rassemblons dans la ville de Maaseik où se trouve tout le charroi.  Sûrement toute la Brigade est présente.  Nous retrouvons les camarades d’autres compagnies et on essaye de se renseigner sur notre destination,  rien ne transpire,  le secret est bien gardé.
Bientôt l’ordre d’embarquer est donné et le convoi se met en route.

Première Campagne d’Hollande
Thorn

Il y a certainement bien deux heures que nous roulons,  quelqu’un qui s’est réveillé nous annonce que nous sommes en Hollande.  Bientôt le camion s’arrête et nous débarquons,  le silence est recommandé,  chaque section prend ce qui lui est nécessaire et nous suivons en colonne par un,  1e , 2e , 3e sections,  nous sommes chargés comme des portefaix.  Nous descendons une rue aux maisons blanches et d’après ce que je pouvais voir au clair de lune d’une properté parfaite,  il n’y avait pas à s’y tromper nous étions bien en Hollande.  Le lieutenant Thumas donne l’ordre à ses hommes de prendre position à des endroits différents du village.  Après une courte nuit,  le jour se lève et les hommes sortent de leur grange ou abri et cherchent de l’eau pour leur toilette du matin.  Une heure après,  nous sommes ravitaillés d’un breakfast bien garni.
Enfin,  après quelques jours j’appelle les sous-officiers pour un briefing...

Attaque vers le Canal de Wessem
fin septembre 1944

Après avoir fermé la porte,  j’informe qu’à 3h. de l’après-midi nous devons porter une attaque sur un pont du Canal de Wessem,  essayer de le passer et établir une tête de pont sur l’autre rive.  Je leurs explique tout le processus de l’affaire,  c.a.d. à 11h. préparation d’artillerie par 25 pounds et 6 pounders,  un peu avant le départ tir de mi lourdes sur nos flancs et au départ de l’attaque soutien de cinq chars Patton,  jusqu’au limites possibles du terrain,  voilà la mission !  L’heure avance et nous entendons les premiers coups de canon,  les hommes font le plein de munitions et préparent leurs équipements pour l’assault.
Nous allons partir sans capote pour avoir plus de liberté des mouvements.  Le temps est gris et la température n’est pas très favorable.  Après les préparatifs, la cannonade tonne,  l’heure du rassemblement est venue,  les sections sont prêtes,  le radio est en contact avec le commandant.  Notre peloton s’ébranle et gagne la ligne de départ de l’attaque.  Je sors mon revolver et regarde ma montre,  lève le bras et fait un large geste et crie :  « 5e peloton en avant ».
Je mène mes hommes,  dans l’ordre 1e, 2e et 3e sections vers la sortie du village de Thorn sans voir un chat,  nous nous trouvons dans les prairies.  C’est à ce moment que venant de notre droite les chars Patton débouchent avec un bruit de ferraille,  ils s’arrêtent un instant pour tirer et reprennent leur progression,  quand le terrain le permet ils s’établissent en éventail devant nous,  cela nous donne une impression de sécurité.  Rien du côté allemand,  pas encore de réaction !  Nous dépassons un terrain de football sur notre droite et nous trouvons dans les champs avec sur notre gauche un large et haut talus que nous longuons.   A ce moment même venant de devant nous et un peu vers la droite,  nous arrive des tirs de MI,  aucun accident de terrain nous protège et il nous semble que les tirs viennent d’une grosse ferme.  Notre objectif se trouve droit devant,  nous pouvons très bien apercevoir un petit bois de haut pins censé border le canal,  à ce moment déjà nous commencons à encaisser quelques coups de 38mm.  Ceci n’est que le prélude et pour éviter le pire ma 1e section accélère son allure et les autres sections suivent dans leur foulée.  Déjà nous avons couvert la distance qui nous sépare du petit bois quand j’appercoie Eugène Lauwereins,  en tête de sa section escalader le talus,  lever ses bras vers le ciel et s’écrouler lentement sur le sol,  il a reçu deux balles dans la hanche,  une explosive et une ordinaire et  perd du sang en abondance.  Les brancardiers l’emmènent vers l’arrière.  Son caporal prit de suite la section en mains et la fait passer dans un fossé assez profond avec une quarantaine de cm d’eau.  Il emmène la section vers le bout du fossé,  la 2e section,  celle de Cocriamont suit le mouvement suivie de la 3e section de Dufrane.  Maintenant l’artillerie et les mortiers allemands nous tires dessus sans arrêt,  chez nous plus rien,  les chars ont fait demi-tour,  notre artillerie ne tire plus que sporadiquement.  Nous sommes bloqués.  Je cherche la radio pour demander un barrage d’artillerie... mais le poste est inutilisable,  il est percé de balles.  J’ordonne à mes hommes de prendre position et d’ouvrir le feu. (Témoignage Pauchenne)
Cet à ce moment qu’Arsène Pauchenne,  tireur de bren de la 3e section,  celle de Dufrane,  est touché par plusieurs balles dans le ventre.  Pauchenne est évacué vers l’arrière et transporté vers un hôpital de campagne.  La pluie continue à tomber fine et régulière transperçant nos vêtements.  Le soir commence à tomber,  l’artillerie ennemie a cessé son feu,  de temps en temps nous recevons encore des tirs de mitrailleuses.  Rien à boire ni à manger,  nous avons l’espoir qu’avec la tombée de la nuit nous serons ravitaillés.  Manque de munitions et de provisions,  nous avions emporté que la dotation normale pour une attaque mais pas pour une défense prolongée,  d’attaquants nous étions passés défenseurs,  tout à fait à l’air,  sans appui,  rien !

Il ne doit pas être loin de minuit,  à ce moment à notre droite vers l’emplacement de la 1e section des hommes crient : « les boches sont là »... et les premières explosions se font entendre,  ce sont des grenades,  aussitôt toute la ligne prend feu,  nous tirons devant nous comme des enragés.  Nous avons la nette sensation que les allemands ne sont plus très loin et qu’il faut se préparer à un corps à corps.  Nous continuons à lancer des grenades,  l’homme du Bren a du mal à suivre la cadence,  chargeurs après chargeurs sont vidés ainsi,  enfin,  après un certain temps cela a l’air de se calmer,  le feu diminue d’intensité et devient plus espacé pour bientôt se taire définitivement,  notre artillerie a tiré par dessus le canal,  ce n’est pas plus mal,  ils auront eu de la peine à décrocher.  Les heures se remettent à s’écouler lentement,  nous tombons de sommeil malgré l’inconfort de notre situation.  En arrière sur notre droite,  des fusées éclairantes montent,  il se prépare encore quelque chose,  effectivement nous entendons des éclatements de grenades,  des coups de fusils et le claquement des mitrailleuses.
Notre artillerie riposte et cela ce calme petit à petit.  Enfin vers 6.30h du matin, le jour gris sale fait son apparition,  ce qui nous permet de prendre dans nos doigts transis de froid une cigarette,  c’était délicieux de pouvoir savourer une bonne cigarette après une pareille nuit.  Mais quand allons-nous avoir du ravitaillement ?  Les hommes ne disent rien,  ils ont l’air abbatus.  Vers midi,
je passe dans le fossé et leurs communique qu’ils seront relevés ce soir !
Il n’est pas question de nous ravitailler.  Le temps passe lentement,  quand allons-nous être relevés ?  Combien de temps allait-on nous laisser dans cette situation ?  Déjà le soir tombe,  il devait être environ 17h et la pluie tombait toujours.  Enfin,  bientôt des ombres se glissent parmi nous,  c’est un peloton d’assault d’une autre compagnie qui vient nous relever.  Après avoir marché durant un certain temps sous un léger brouillard,  une sombre bâtisse se distingue devant nous,  c’est une tuillerie,  un avant poste de la Brigade,  on nous promet bientôt du ravitaillement chaud qui nous est amené par Dinant avec sa camionnette 15 :  de la soupe chaude et du pain,  quel festin !  Nous avons reçu aussi nos couvertures et nous nous installons dans les alvéoles des fours qui après en avoir retiré les tuiles qui en obstruaient l’entrée,  nous fournit un logement appréciable et apprécié.  Ce fut le premier contact avec l’ennemi,  ce ne serait pas le dernier...

Accident avec le Troop Carrier
le 23 octobre 1944


Après avoir été relevés des lignes,  vers midi nous sommes à Kinrooi,  nous devons nous rendre à Bree dans une usine dont les douches marchent encore.
La séance est finie et nous remontons dans le Troop Carrier,  la route vers Kinrooi est assez étroite et bordée d’arbres d’une respectable grosseur.  A un certain moment,  nous voyons venir une jeep dans notre direction,  au même moment une autre jeep vient de l’arrière.  Cette jeep nous dépasse mais « in extremis » pour permettre à l’autre jeep de rester sur la route.  Notre chauffeur
donne quelques violents coups de frein et serre sur sa droite au plus près,  trop près des arbres et les barreaux de soutien de la bâche viennent se briser successivement sur les arbres. 
C’est à cet instant qu’arrive la catastrophe,  le tranchant d’une barre casée traverse la tempe de Dinant lui ouvrant la boîte frontale,  il est mort sur le coup.  Mureau lui a le poumon perforé et ira mourir à l’hôpital Bruggman.  Les autres blessés du peloton,  seront en un première temps évacués à Eindhoven.

Edouard Dinant 
Jean Mureau

Nous avons perdu ainsi 4 camarades,  ainsi que plusieurs blessés durant ces premières campagnes.  Vers la mi-novembre nous sommes retirés du front et en décembre nous sommes envoyés au pays de Waes,  où la Brigade se réorganise. 
Fin mars 1945 elle remonte vers le front et participe à la deuxième campagne d’Hollande.  Le 8 mai,  lors de la capitulation de l’Allemagne,  nous traversons le Rhin et prenons position à plusieurs endroits en Westphalie.  Notre 3e  bataillon s’installe à Oelde.  Nous nous trouvons déjà à la mi-décembre 1945 et le bruit court que la 1e Brigade va faire mouvement vers la Belgique pour la démobilisation des volontaires de guerre.  Voilà en gros l’histoire de ce 5e peloton d’assault.  Ce sont là seulement quelques anecdotes de ce qu’ils ont vécus.  Il faudrait plusieurs livres pour raconter tout leurs faits d’armes à travers  toutes les campagnes de la Brigade.

 

 Le lieutenant Thumas mena ses hommes d'une façon remarquable ! Il fut un des plus brillants officiers que la Brigade possédait.

Après 17 années d’absence illégale à l’unité,  une partie de notre cher 5e peloton s’était réunie dans le courant du mois d’octobre 1961.  Ceci se passait au Café des Boulevards à Bruxelles.



                                  
Etait également présent,  Debiève,  Vincinaux,  Dufrasne J-M,  Binard et Bodart.

 

Sources :
« Evadés »
par Guy Weber
« Mémoires de Guerre »
de Pierre Dufrane

Didier Dufrane