SERVAIS Gaston - Sdt - Mat 4386

3ème Compagnie - 3ème Peloton d'assaut

 

Sdt Gaston Servais
3e compagnie – 3e peloton d’assaut
matricule : 4386 

 

Né à Anvers le 29 mai 1920, ce grand jeune homme noir avait été élevé dans ces écoles du royaume de Belgique, suivant des idées classiques. Elles font sourire aujourd’hui mais donnaient la force à ceux qui en faisaient une profession de foi : « Dieu,  Honneur et Patrie ».

Gaston Servais fut embastillé dans un fort de son terroir d’adoption,  celui de Battice,  dont les occupants devaient,  depuis leur domicile,  pouvoir rejoindre l’ouvrage en moins d’une heure.  En 1938,  après l’Anschluss et l’invasion du pays des Sudètes par Hitler,  il devint évident que les miliciens de la classe en cours,  seraient maintenus sous les armes.  Ce fut le P.P.R. ou pied de paix renforcé.  Cette mobilisation rapportait une solde de trente centimes par jour augmentés d’une « indemnité » de soixante-dix centimes,  soit un franc belge (de 1939) aux requis.  N’était-ce point une aumône si l’on songe que dans les cantines militaires,  le bâton de chocolat se vendait 1 fr 25 ?

La Belgique comptait trois régiments de forteresse : Anvers,  Namur et Liège. Cette dernière position fortifiée comprenait quatre groupes d’artillerie répartis entre le fort d’Eben-Emael (commandant Jottrand),  celui d’Aubin-Neufchâteau (commandant d’Ardenne) et Battice (major Bovy et commandant Gueury). Parmi les artilleurs de forteresse de cette génération,  quatre « illuminés » du fort de Battice,  après avoir été prisonniers de guerre en Prusse Orientale,  iront rejoindre le camp de la liberté.  Raymond Fischer,  Joseph Ahn,  Hubert Lenders et Gaston Servais quitteront la Belgique occupée en 1942,  pour rejoindre les forces belges.  L’un d’eux,  Raymond Fischer,  unique en son genre,  terminerait la guerre en Birmanie.

Mais en cet an de grâce 1940,  fait de désillusions et de détresse,  ils avaient tous les quatre terminé la campagne en captivité.  Les Allemands les transportent en Prusse Orientale,  au Stammlager de Stablack,  le I A,  où la vie des captifs n’est pas différente de celle de tous les autres camps de prisonniers : des Hollandais,  des Polonais de toutes origines,  des Français de toutes les couleurs et des Belges de toutes les langues...  En 1941,  Ward Hermans,  un ancien volontaire de guerre belge sur l’Yser,  devenu nationaliste flamand,  déporté maladroitement vers la France,  dans un train-fantôme qui aboutit au Vernet d’Arièges,  membre du V.N.V. (Vlaams Nationaal Verbond) obtint par l’entremise de Rudolf Hess parait-il,  la libération de 30.000 prisonniers flamands.  Comme Gaston Servais est né à Anvers : aucune hésitation,  il fera partie du convoi des libérables.  Ce train quitte Stablack le 20 janvier 1941.

Le 24 janvier 1941,  Gaston Servais débarque à Verviers,  à temps pour assister à l’agonie de son père.  Il est soutien de veuve et émarge au chômage jusqu’au moment où un appel public recrute des auxiliaires pour la police communale de Verviers.  Il occupera cette fonction durant une période de dix-huit mois.
A la fin de l’année 1942,  les autorités d’occupation firent paraître une « Bekannmachung » (avis) stipulant que désormais,  les « disparus » soupçonnés d’avoir tenté de rejoindre « les Anglais »,  verraient leurs biens confisqués et les membres de leur famille arrêtés comme otages.  Il est grand temps de « mettre les voiles ».

Gaston Servais décrit sa propre cavale :

« Un loden,  des bottes noires,  un ruck sack et un alpenstok :  voilà la parure.  Papiers ?  Une carte d’identité authentique et un Ausweis en allemand,  comme en possédaient les policiers des communes belges.  Logistique ?  Une gourde,  un pain de ravitaillement,  deux fromages de Herve,  un couteau ».  Le plan : rendez-vous sur le quai de la gare de Sedan avec un déserteur de la Kriegsmarine.  Le 6 novembre 1942,  Gaston Servais quitte son domicile de Verviers,  il passe en territoire français et arrive à Carignan chez le bûcheron,  passeur d’hommes,  Celui-ci l’héberge et le fait monter le lendemain dans le train qui mène à Sedan au départ de Pourru Saint-Rémy.  Sur le quai de la gare ?  Un individu portant des lunettes cerclées de fer, monte dans son compartiment.  A Longuyon,  deux inspecteurs de la sûreté française,  portant le béret basque,  contrôlent les papiers.  En vérifiant les papiers de l’homme à lunettes :  ils s’ésclaffent,  un passeport britannique périmé.  Sa valise contient des bouteilles de vin de messe.  C’est un vrai prêtre.
Originaire de Manchester,  il s’est caché en Flandres et a été recueilli par les Norbertins à Tongerloo.  Le « Chaplain du BEF » (Aumonier du Corps Expéditionnaire britannique) file vers la France de Vichy.  Gaston Servais l’emmène au local des Jeunesses estudiantines catholiques de Nancy où ils passent la nuit.  Le lendemain,  le train les emporte de Nancy à Besançon où l’Anglais a comme point de repère le « Nouvel Hôtel » en face de la gare.
L’accueil n’y fut pas cordial : « Sortez vite ou je vous fous dehors »,  fut la réaction de la serveuse !  Mais où passer la nuit ?  Mais dans l’abri anti-aérien qui a été creusé dans un jardin public. 

Le lendemain,  le car les emmène vers Pontcharlier.  Pour éviter les patrouilles et contrôles,  il est préférable de continuer à pied vers les Arsures et Arbois.  L’Anglais sait qu’il trouvera de l’aide à Pupillin,  chez Boulanger.  Dans ce village,  dernier hameau avant la ligne de démarcation,  ils aboutissent dans une ferme où les « vrais » Boulanger les serviront de guides.  Tout se passera bien.  Le 10 novembre,  ils s’embarqueront à Poligny dans le train de Lons-le-Saunier vers Lyon et Grenoble.  Il y a huit personnes dans le compartiment.  L’Anglais est en face de moi,  en oblique.  En face de lui,  un corpulent bonhomme.  Je lis un journal « La Gerbe ».  Le bonhomme me demande de lui prêter mon journal,  je lui dit imprudent : « C’est un quotidien collabo ! »...  Les ponts sont jetés.  L’inconnu ne regarde même pas le journal et interroge Gaston.  Il parle du doyen de l’église Saint-Remacle à Verviers,  du vicaire... nous sommes en plein consistoire.  Il s’agit du Père Dantinne O.P.  A Lons-le-Saunier,  chacun s’explique et les trois comparses décident d’affronter,  ensembles,  la gare de Lyon où les sorties sont contrôlées par la police de Vichy.
Comme le dit Servais : « On ne va pas loin avec trois cartes d’identités dont deux sont fausses,  un passeport britannique périmé et un Ausweiss établi à Verviers... ».  Dantinne a une mission à remplir chez les Dominicains à Lyon.
Il faut passer... L’imagination ou l’audace de Gaston Servais vont sauver le trio.
En effet,  alors qu’ils passent le tourniquet,  Dantinne et le padre anglais s’engagent sans montrer de papiers et Gaston les suit en hurlant en allemand ‘‘Lassen Sie bitte die Deutsche vorbei,  wir lassen uns nicht kontrollieren’’ (Laissez passer les Allemands,  je vous prie,  nous ne subissons pas de contrôle)  Et il ajoute en français : « Vous compris ?  Nous Allemands,  vous Fransoze !! »...  Et le truc réussit !  Aucun des trois ne sera controlé,  au contraire,  la police française s’efface avec un certain... respect.  Comme le disait Gaston Servais :   « Rien ne vaut le culot ! ». 

Le 11 novembre 1942 ils arrivent à Grenoble où il faut contacter le Père du Mortier.  L’après-midi du même jour ils font l’acquisition de trois cartes d’identité vierges dans le bureau de tabac.  Le père Mortier les conduit dans un immeuble,  l’une des pièces était réservée au « pianiste »,  celui qui entrait en contact par radio avec Londres et aidait les évadés après les avoir discernés des imposteurs indiscrets.  Grenoble,  Valence,  Narbonne,  Perpignan : voyages sans histoires.  Le 13 novembre 1942... les Anglais et les Américains débarquent en Afrique du Nord.  Les Allemands envahissent la zône de Vichy.  Ils foncent vers les Pyrénées.  Les trois fugitifs aussi,  dont le train roule de Perpignan vers Mont-Louis.  Ici,  on monte vers Bolquère.  Ils y seront accueilli par le père Delmotte.  Les évadés vont tenter un premier franchissement des cols,  sous la neige. 
Dans la tempête et le brouillard,  après des heures de lutte contre le vent et le froid ils retrouvent la cure de Bolquère.  Le père Dantinne qui ne possède plus qu’un poumon,  renonce à une seconde tentative.  Le lendemain,  les deux fuyards seront surpris par deux carabiniers espagnols.  Ils prient les évadés de les suivre.  Après une longue marche,  on arrive à San Cristobal de Tosas un nid d’aigle,  perdu dans les montagnes.  Le lendemain,  le 17 novembre 1942,  ils sont conduits à la prison de passage de Puigcerda.  Deux jours plus tard,  encadrés par les « guardia civil »,  on les fourre dans un autocar qui les amène à Figuerras.  Le 29 novembre 1942,  ont les embarquent dans un train direction Barcelone.  On quitte le train de voyageurs pour des wagons à marchandises qui ne s’arrêteront qu’à Miranda.  Miranda et sa faune belge :  comme les sociologues de nos jours seraient heureux de découvrir cet invraisemblable laboratoire composé de Belges-Canadiens,  de Belges-Anglais ou de Belges-Belges.  Nos compatriotes auxquels on demandait de décliner leur nationalité,  déclarèrent avec aplomb et en coeur : « Canadiens ! »

Le 19 avril 1943,  grâce au travail diplomatique,  les autorités espagnoles ont décidé de les placer en résidence forcée,  une petite station thermale.  Le 26 mai 1943,  les passeports sont là.  C’est le départ joyeux sur la route de la liberté.

Le groupe dont fit partie Gaston Servais a quitté Lisbonne le 6 juillet 1943 par Villa Real de San Antonio.  Il fut chargé à bord d’un croiseur britannique qui arriva à Gibraltar le 9.  Le 17 du même mois,  les évadés belges sont à bord d’un convoi de bateaux qui rallient les Iles britanniques et qui sera en rade de Liverpool le 22 juillet.  Après ?  Vous vous en doutez : Patriotic School,  Leamington ou Criccieth,  et pour Gaston Servais,  la 3e compagnie indépendante de la Brigade Piron,  au sein du 3e peloton.


 

A Broadstairs (Grande-Bretagne) - 1943. Groupe de six évadés de Belgique. De gauche à droite :
Marland,  Genot,  Georgery,  Birman,  Servais et Lizin

 

Campagne de Normandie

L’Enfer de Foulbec écrit par Guy Weber

26 août 1944

 


 

Il faisait un temps magnifique.  Après ces quinze jours sur les plages du Calvados, nous sommes tous bronzés comme des estivants.  Le moral est au zénith puisque nous sommes traités en « libérateurs » partout et par tous.
Il est 9 heures.  Les ordres viennent d’arriver par radio.  Louis Nowé forme sa « compagnie d’avant-garde ».  Faut passer la Risle.  Sur la petite place de Conteville,  près de l’église,  les chenillettes des armes de support attendent leur tour de s’intégrer dans la colonne.

Le peloton de pointe,  celui de Van Cauwelaert laisse partir ses éclaireurs avec la section de reconnaissance de Bury.  Celui-ci est en motto.  Le premier « Carrier » est celui de Coussemaeker.  Les fusiliers,  queu-leu-leu comme les canards,  longent les fossés qui bordent la route,  sections en quinconce.  Le fusil-mitrailleur à gauche,  l’équipe mortier à droite,  celle de Gaston Servais.

De l’autre côté de la Risle,  sur les hauteurs de Saint-Samson de la Roque,  un salaud a du crier « Feür ! »...  C’est l’apocalypse.  Nous sommes tous transformés en taupes.  C’est à qui trouvera un trou,  une échancrure.  Tout le monde n’a pas la chance d’avoir une chenillette en dessous de laquelle on peut se faufiler.  Des voix crient : « Brancardiers ! ».  Gaston Servais traîne un corps vers une jeep-brancards alors qu’un carrier roule au galop vers l’arrière transportant Raymond Kesteloot,  une jambe pleine de sang posée sur le crénau.  Dans ce 3e peloton d’assaultGaston Servais,  l’irréductible des cantons de l’Est.  Il vient de recevoir un éclat d’obus au-dessus du genou gaucheIl est étendu dans le fossé qui borde la route,  derrière son lieutenant Léo Van Cauwelaert et le petit Badts. 
Mais Francis Mouchet a décidé de le traîner à l’ambulance,  là au carrefour. C’est la pagaille...  Des « bren-carriers » et des Jeeps tournent en rond pour échapper au déluge.  Dans ce désordre apparaît Jean Piron.  Il est debout dans son « Scout-car ».  Superbement courageux,  il essaie d’enrayer la panique et de remettre de l’ordre dans la colonne.  C’était le 26 août 1944 !

« Le carrefour de Foulbec ». A l’arrière plan,
   les hauteurs de Saint-Samson de la Roque. 
Pont qui traverse « La Risle »,  derrière
celui-ci à droite, les hauteurs de la Roque.

Photos avril 2011

 

Si vous allez à Conteville,  visitez le cimetière.  Seul,  le corps de Francis Mouchet s’y trouve encore.  Pausole l’avait porté en terre avec le curé du village,  et une maman de l’endroit soigne sa tombe « avec celle de son fils ».  Au jour anniversaire, elle remet « son casque » sur la pierre... (témoignage Francis Mouchet).

 

Thorn,  le 27 octobre 1944 :
Anecdote écrite par Guy Weber durant la première campagne de Hollande dont il est question de Gaston Servais

Oui,  on connaît « le drill » !  Un tiers de l’effectif veille,  un tiers est en alerte et le troisième tiers se repose.  Mais,  dans ce brouillard hollandais qui couvre le Canal de Wessem,  « tout l’monde roupille » !
Soudain,  un coup de feu.  N’est-ce pas du côté du presbytère de Thorn,  du « R.A.P. » (prononcer Ar-E-Pi !)?  Chacun cherche dans l’obscurité,  qui la crosse de son Bren,  le manche de son Sten.  Et dans la nuit qui s’enfuit on commence à distinguer des bâches camouflées qui ne sont pas de chez nous.  Mais combien sont-ils ?  Nous formions le « hérisson »,  cette tactique de la « all round defence » pour nous défendre et cette défense toutes directions,  se replie sur elle-même, comme une huître,  sur cette patrouille allemande qui s’est infiltrée dans nos lignes.
Sans calculs,  par hasard,  sans aucun autre stratagème de notre part que l’inconscience de la fatigue,  le destin a conduit les intrus dans la trappe.

Le major Nowé me demande de rassembler la « Scout-Section » pour contre-attaquer.  Où ?  Qui ? Comment ?  Je suis couvert du foin de la grange dont je sors.
Pistolet à la main j’essaie de distinguer dans le brouillard,  les amis des ennemis. Je vois Armand Delhasse qui épaule un Lee Enfield.  Roger Van den Daele est avec lui.  Il s’écroule.

Un groupe des nôtres descend la « Dorpstraat ».  Gaston Servais est en tête. Un mortier de deux pouces sous le bras,  il épaule de la hanche et envoie une bombe explosive dans ce verger,  à droite du mur où la patrouille allemande a commencé à creuser des retranchements.

Delhasse est blessé.  Une fusée monte du groupe ennemi vers le ciel qui s’éclaircit au fur et à mesure où le jour se lève.  Cela voulait sans aucun doute signifier :
« Tirez sur moi ».  Les mortiers allemands se mettent de la partie.  Les nôtres aussi.
Il fait bientôt complètement jour et les assaillants réalisent leur encerclement. Le chef de la patrouille,  un grand gaillard de Feldwebel avec des écussons de parachutiste,  a été tué.  On entend crier : “Hilfe”,  “Mutter”, “Kamerad!”…

 

Bruxelles,  le 10 mars 1945.

Gaston Servais décoré par le maréchal Montgomery de la Military Medal.


 

Extraits
« Les Evadés » et « Des Hommes Oubliés » par Guy Weber

résumé et mise en page par Didier Dufrane