GUYOT Francis - Sdt - Mat 10031

3ème Compagnie - Scout-Section

 

Sdt Francis Guyot
3e Compagnie – 1er Peloton (Scout-Section)
Matricule : 10031

 

LA DISPARITION DE LA "SCOUT-SECTION"

 

L’histoire de la Section de Reconnaissance est particulièrement lugubre.  Le 9 octobre,  la 3e compagnie reprend le secteur d’Ittervoort.  Chacun l’aime moins que Thorn.  Des vergers,  la route qui descend du canal et ce fichu poste d’écoute qu’il faut occuper :  Santfort.  En langage militaire on dirait « des enfants perdus ».  Ils le furent effectivement.  Jacques Bury,  le premier évadé de Belgique arrivé en Angleterre,  le dynamique et souriant chef de la Scout-Section emmène sa bande.  Il a deux bons adjoints : Deheneau et De Coussemaker.  Des vétérans de Normandie comme Fieldsted et Van de Woude ;  des « gonflés » comme Wulfaert,  Guyot et Drion,  renforts venus du 4e peloton.  Dans toutes ces aventures,  il y a toujours des brancardiers et un radio :  Bob Heylen,  Emile Jaumain et Van Geel.

Laissons la parole à Francis Guyot qui était d’un d’eux :

Le 9 octobre 1944,  dans l’après-midi,  un certain nombre d’hommes du 4e peloton dont j’étais,  furent désignés pour renforcer la Scout-Section.  Dès l’obscurité,  nous partons relever les occupants du poste d’écoute de Santfort.
Nous arrivons à la position en rampant car à moins de trente mètres de celle-ci, une meule de paille brûle.  A notre grand dam,  elle brûlera toute la nuit.  Un chien se trouve sur les lieux et part régulièrement vers les lignes ennemies.

Vers 22 heures,  arrivent les « containers » de ravitaillement et le courrier que l’on remet au lieutenant.  Un brancardier,  Emile Jaumain a rejoint et restera avec nous.  Les rôles de garde sont distribués.  Commence alors cette longue nuit de surveillance d’autant plus angoissante que cette meule brûle toujours et que ce chien n’interrompt pas ses navettes avec la rive du canal.  Vers trois heures et demi,  Van Geel et moi avons fini notre tour de guet.  Nous réveillons le poste n° 1 composé par Drion et Wulfaert.  Nous nous allongeons pour dormir.

Position de la Scout-Section

 

Brusquement,  on me marche sur le corps.  Quelqu’un crie « Les Allemands ! ». Je vois Bob Heylen,  le T.S.,  essayer d’entrer en contact radio,  en catastrophe, mais rien ne répond.  Deheneau tourne son Bren-Gun vers l’arrière du poste n°1 où est installée une mitrailleuse allemande.  Mais celle-ci ouvre le feu d’emblée, arrosant les sacs de terre qui couvrent le toit de la tranchée du poste n°4.  Un Allemand surgit,  dressé devant Van Geel et moi,  la mitraillette braquée sur nous.  Il nous donne l’ordre de sortir de la tranchée.  Et nous rejoignons nos camarades alignés à hauteur du poste n°1.

Bob Heylen reçoit l’ordre d’aller chercher son poste de radio.  Il s’exécute mais en profite pour arracher les fils et changer les longueurs d’ondes.  Nous sommes complètement entourés d’Allemands.  En colonne,  bien encadrés et surveillés, on nous dirige vers le pont qui enjambe le canal.  En chemin,  Jacques Bury se débarrasse du courrier qu’il devait remettre à ses hommes.  D’autres allemands nous escortent le long de la route.  Ils devaient être une vingtaine.  Sitôt le pont franchi,  on nous dépouille de nos papiers et nous sommes poussés à pied bien entendu,  vers ce fichu village de Panheel où la population hollandaise nous contemple.  Dire qu’ils furent aimables serait exagéré.  Pour plaire à leurs « occupants » ils nous injurient et félicitent nos gardiens.  On nous enferme dans une grange,  où nous subissons un interrogatoire serré.  Un repas nous est servi et dont nous n’avons pas eu à nous plaindre :  côte de porc,  choux rouge,  pommes,  café.  Au début de l’après-midi,  un général allemand nous fait l’honneur de sa visite :  il vient contempler la « prise » !  Nous passons la nuit bien gardés au rez-de-chaussée d’une grande bâtisse vide mais chauffée.

Le 11 octobre,  on nous pousse dans un camion,  puis dans un train qui nous mènera à Krefeld.  Nouvel interrogatoire par les Allemands qui,  à notre stupéfaction nous divisent en deux groupes.  On sépare les francophones des néerlandophones.  Nous sommes ensuite interrogés par des SS belges...
On nous permet de faire enregistrer des messages à destination de nos familles. Rentrés dans notre baraque,  un des SS reviendra nous voir... c’était un bruxellois.  On sonne l’alerte aérienne pendant la nuit mais il n’existe pas d’abri pour les prisonniers.  Deux jours encore et nous partirons en train vers Fallingbostel,  en Basse-Saxe.  Après un nouvel interrogatoire nous apprenons
avec scepticisme,  que les prisonniers belges faits en 1940,  refusent de nous admettre dans leur camp...  Nous passons donc la nuit sous la tente alors qu’il gèle déjà.  Le chef du camp de prisonniers britanniques lui,  nous accueille : le R.S.M. Lord.  Il dirige un groupement de captifs dont la plupart ont été pris à Arnhem ou à Nimègue.  On nous désigne pour la baraque 10 B et nous nous organisons.  D’autres soldats de la Brigade viendront nous rejoindre tels Grandclaudon,  Leceuve et Nihoul pris à Wessem (voir témoignage Grandclaudon) lors de l’attaque manquée du peloton de Gonthier.
Quelques jeunes résistants d’Anvers viennent grossir notre nombre.

Nous vivons à l’heure anglaise,  avec nos propres M.Ps,  la vie de tous les prisonniers.  La R.A.F. viendra un jour attaquer la ligne de chemin de fer qui longe le camp.  Bilan :  deux prisonniers blessés dans la baraque-cuisine.  Le 15 avril 1945,  vers 19 heures,  un petit avion de reconnaissance survole le camp.  La libération est proche.  Il est 9 heures cinq le 16 avril quand les premiers blindés anglais enfoncent la grande porte du camp.  Le cauchemar a pris fin.  Vers quinze heures,  nous recevons la visite de Montgomery et on nous distribue du chocolat et des cigarettes.  Le 20 avril,  un délégué du Ministère Belge de la Défense Nationale,  le commandant Gierse vient nous voir. 

Pendant notre captivité à Fallingbostel,  le sous-lieutenant Jacques Bury s’est évadé.  Il sera repris par les Allemands mais nous ne l’avons plus jamais revu.

 

extrait
« Des Hommes Oubliés »
par Guy Weber.

 

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