Gustave ISENBORGHS - Sdt - Mat 4183 Escadron d'Autos-blindées - EM |
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Sdt Isenborghs Gustave
Arm. Cars Squadron - Staff
Matricule : 4183
L’histoire des hommes de la Daimler “AS DE PIQUE”
Le 5 octobre 1944 nous descendons en reserve à Kinrooi. Des fermes isolées, de la boue, cent fois remuée par les chenilles des « carriers » mais l’espoir de descendre trois jours à Bruxelles. En effet, un système est organisé pour permettre d’envoyer « en permission » un pourcentage de la compagnie en réserve. Des « troop-carriers » emportent via Bree et Bourg-Léopold ceux qu’on déposera à l’Allée Verte à l’entrée de la capitale pour les y récupérer quarante-huit heures plus tard.
Et quand nous rentrons le 9 octobre, le secteur d’Ittervoort nous attend. Il n’est pas plus joyeux. Ma section est installée autour d’une ferme où sévit un handicapé mental. Il entre en transes à chaque bombardement : ce qui nous casse les nerfs. Les Allemands nous feront l’honneur de nous expédier un calibre inhabituel : des « pruneaux » insensés qui font s’écrouler les murs comme des châteaux de cartes.
Ce petit jeu va durer plus d’un mois. La ronde infernale ! Quatre jours à Thorn, quatre jours à Kinrooi, quatre jours à Ittervoort et on recommence ! La relève incessante des trois compagnies avec des morts, des blessés, des prisonniers, des nuits sans sommeil, un qui-vive perpétuel et un secteur beaucoup trop large pour nos forces. D’ailleurs, pour qui réfléchissait : il n’y avait personne derrière nous. Nous étions à la merci de la moindre action offensive ennemie.
L’escadron d’autos blindés n’était pas logé à meilleure enseigne. Finies les chevauchées fantastiques ! Les équipages veillent des nuits entières pour protéger leurs engins, comme en témoigne ce récit de Georges Muller qui dépeint l’atmosphère de l’époque, alors que Frédéric de Selliers tient un secteur à l’est du nôtre, dans la boucle de la Meuse, à droite de Maaseik.
AS DE PIQUE
AUTO BLINDEE DAIMLER
Adj. Depotter Lucien
Sdt. Muller Georges
Sdt. Isenborghs Gustave
“Aldeneyck”, le 4 octobre 1944, à cinq heures du matin : fraîcheur et splendide clair de lune. Comme chaque jour, pour la nuit, le peloton qualifié de « fighting seven » - 7 cause de son code radio – s’était replié des bords du canal de Wessem vers l’intérieur du pays. Voilà donc le peloton dans une ferme belge en bordure d’une petite route pavée, et les trois autos blindées dans la cour. C’était l’instant précis de la relève de la garde par l’équipe du blindé « as de pique » de Depotter, Isenborghs et moi-même. Isenborghs, petit laitier bruxellois, avait la manie de fumer une cigarette dès son réveil : cela lui était indispensable. Ce matin-là, Je ne m’en inquiétai donc guère, connaissant cette habitude et sachant que presqu’aussitôt il l’éteignait pour la remettre en poche. Quant à Depotter sortant de la grange, il le vit et se fâcha. Isenborghs protesta, et éteignit sans plus sa cigarette : l’incident était clos.
Depotter se glissa vers la gauche de la route, Isenborghs vers la droite, et moi je restai entre les deux à ajuster mes armes. A peine Isenborghs eut-il contourné un buisson que cinq coup de mitraillette... l’abattirent sur le bord de la route. Ce fut un cri intolérable. Je m’accroupis, ajustai mon « Sten Gun », mais n’arrivai ni à voir, ni à entendre d’autre bruit. Mes oreilles souffraient de la déflagration ; l’allemand était devant moi, à deux mètres peut-être. Derrière moi, longeant les murs, Depotter s’approchait ; il cria mon nom et celui d’Isenborghs.
Devinant les tireurs, je n’osai répondre. Quelques minutes s’écroulèrent. J’entendis enfin des bruits d’armes : c’était tout le peloton qui, derrière moi qu’ils me croyaient
mort avec Isenborghs, se préparait à ouvrir le feu dans notre direction. Je me risquai alors à signaler ma présence ; et il en était grand temps. A la tête du peloton, et malgré le clair de lune, Depotter prit d’assaut la route, retrouvant sans doute l’expérience de ses vingt-huit années au huitième de Ligne...
Isenborghs avait été abattu de plusieurs balles dans le dos : un Allemand s’était ainsi approché entre lui et moi.
Le Père Gérouville, infirmier, me rapporta qu’il avait été prendre le corps dans la grange où Depotter et moi-même l’avions porté, et que pendant ce temps, une mine – Tellermine – avait été trouvée à proximité d’ « as de pique ». Le Père Gérouville ajouta que Isenborghs s’était certainement fait tuer car il fumait. En effet, Isenborghs serrait encore sa cigarette dans sa main.
« Mais moi, je pus bien sûr rétablir la vérité... ».
Georges Muller
Photo de Lucien Depotter, vu de dos.
Extrait :
"Des Hommes Oubliés"
par Guy Weber
Mise en page par Didier Dufrane