René MARLAND - Mat 4615

Etat-Major - Transmissions

 

 

 

 

Marland René
Staf Company Signal
matricule : 4615

 

L’ARCHITECTE

 

René Marland,  architecte de profession se trouve mobilisé en 1939, au moment où les Alliés déclarent la guerre à l’Allemagne.  Au moment de l’invasion le 10 mai 1940,  il se trouve cantonné à Bourg-Léopold et assiste, impuissant,  au bombardement par l’aviation nazie,  de l’aérodrome de Schaffen.
La retraite pousse sur les routes et chemins un flot de refugiés.  Dans cette panique, René Marland et ses camarades fantassins prennent part aux combat qui jalonnent cet itinéraire touristique passant par Averbode,  Aarschot déjà bombardée,  Bruxelles et Londerzeel.  Ils se retrouvent le 25 mai,  à Bruges,  où la capitulation les surprend.


Le 9 juin 1940,  les vainqueurs du moment relâchent ces « conscrits » auxquels ils remettent un certificat de libération appelé « Entlassungschein ».
Mais n’oublions pas que René Marland est un civil « rappelé ».  Les hasards de la guerre lui restituent cet état :  il est démobilisé après une courte détention.  Il est âgé de vingt-six ans.  Il a rempli ses « obligations militaires ».  Il a fait la « campagne des dix-huit jours ».  Sa libération par l’ennemi a été « honorable ».  Rien ne l’oblige moralement à s’occuper du « différent anglo-allemand ».  Mais René Marland est d’une autre souche.  Il est de la race des idéalistes,  des aventuriers.

Le samedi 29 mai 1943René Marland,  quitte Woluwé pour franchir,  vers seize heures,  la frontière française par une piste fort discrète du bois de Quevy.
Le lendemain dimanche,  vers huit heures du matin,  il se faufile par le buffet de la gare.  Il n’a évidemment pas de passeport.  Il se glisse furtivement dans le train à destination de Chantilly où il arrive vers dix-huit heures.  Il est convenu qu’il passera la nuit chez les parents de Maurice Esling,  son comparse en « cavale ».  Mais cette nuit se transforma en journées interminables d’attente de fausse documentation.

Le 20 juin seulement,  il obtint à Saint-Firmin,  un certificat déclarant qu’il était employé chez le sieur Salveton.  A l’aube du lendemain,  « l’excursion commence » comme le dit lui-même René Marland.  Les deux complices se glissent dans une camionnette qui les conduit à la gare de Creil.  Dans ce train qui les emporte vers Paris,  ils ne rencontrent guère la sympathie des voyageurs dont ils ne charment pas l’odorat...
A la gare d’Orléans,  ils embarquent discrètement pour Toulouse,  où sur un autre quai,  ils défilent imperturbables,  devant la police de Pétain mèlée à la police allemande depuis qu’il n’existe  plus de « zone libre ».  Les fugitifs changent de train et sont en route vers les Pyrénées.  Comme lieu de villégiature,  ils ont choisi un hameau proche de Tournay,  sur le plateau de Lannemezan,  dans une ferme isolée.
Une grande déception les y attend :  un important groupe armé a quitté les lieux l’avant-veille,  pour tenter l’aventure vers la frontière espagnole.  Il faudra trouver « un autre filon ».

Le mardi 22 juin,  ils se risquent jusqu’à Bagneres de Bigorre,  d’où ils découvrent le Pic du Midi ainsi que le col du Tourmalet.  On devine plus à l’est,  le Pic du Ger et le col de l’Aubisque.  Mais ils réintègrent modestement leur refuge de Lenespede pour apprendre un drame.  Le destin a voulu qu’ils ne fissent point partie de l’expédition d’avant-hier.  Les membres de cette escouade armée ont connu en montagne,  un affrontement par le feu avec les gardes-frontières allemands.
Ceux qui n’ont pas été abattus,  ont été emmenés dans des camps de concentration dont la plupart ne sont pas revenus.  Les rescapés ont raconté cette tragédie plus tard,  elle s’était déroulée dans les gorges de Kakoueta.  Nos deux fugitifs décident alors de diriger leurs pas vers Lourdes où l’existence de passeurs leur avait été signalée.
La région est réputée comme infestée d’agents doubles.  Ils ont un rendez-vous pour le lendemain soir,  par l’entremise d’un... « porteur de journaux ».  Cette piste est si peu sérieuse qu’ils l’abandonnent.  Un nouveau « tuyau » se transmet bientôt de bouche à l’oreille.  Une organisation existerait à Tarbes.  Le mercredi 23 juin,  ils y sont.
A dix-sept heures ils laissent Tarbes derrière eux,  passent par Pau,  pour arriver à Oloron vers vingt heures.  Un taxi les emmène sur la route de Bayonne,  puis vers Mauléon.  Deux accortes jouvencelles les attendent pour les mener à l’angle de la route de Barcus et du chemin de Roquiague.  On les dissimule dans d’épais fourrés.
Longue attente jusqu’à la nuit.  A onze heures,  l’apparition du premier guide les fait sursauter.  La ballade commence à travers champs et clôtures,  évitant les chemins et faisant le moins de bruit possible.  Un poste de garde est là qui doit être contourné par le cimetière.  Le village de Roquiague...  Les douze coups de minuit sonnent au clocher.
Nous sommes le 1e juillet.  L’équipe escalade l’enceinte du cimetière.  Un peu plus loin,  ils aperçoivent des Allemands sortant de l’auberge du village.  C’est le moment d’en profiter...  Nous rejoignons les contreforts du Pic des Vautours.  La nuit est très noire.  On trébuche sur des pierres et sur des racines.  On glisse dans les descentes à flanc de coteaux,  dans les gorges et les ravins.  Ce calvaire dure jusqu’à cinq heures du matin.  Il faut maintenant gagner près de Tardets,  une cabane où se cacher et se reposer.  De quoi demain sera-t-il fait ?  Un autre inconnu va succéder à ce premier passeur anonyme.  Et voici le nouveau soir.  Il est orageux.  Des éclairs embrasent le Collado de la Piedra.  Il est vingt-trois heures quand,  au signal convenu,  les fugitifs dévallent cette descente vertigineuse vers le village et à travers une forêt de pins qui rendent la nuit plus noire encore.  Il faut faire vite car l’étape sera longue.  Un poste allemand a surpris le bruit.  Des ombres se profilent sur une porte qui s’ouvre.  Les évadés se plaquent au sol.  Des faisceaux balaient les broussailles toutes proches.  Dieu soit loué,  les indiscrets s’éloignent.  Cette coupure qui semble barrer le chemin dans la montagne :  il faut la franchir.  En contre-bas,  coule la rivière le long du poste de garde allemand.  Les fuyards dégringolent le long de la paroi abrupte,  les habits arrachés par les ronces et les ongles cassés par les rochers.  Mais voilà le fossé protecteur,  il longe la route qui défile devant le corps de garde.  A tour de rôle,  au pas de course,  il faut gagner cette grange où ... le passeur fera payer le prix convenu.

2 juillet,  minuit.  Sous le pont gardé par les sentinelles,  dans le lit de la rivière... trempés,  rampant sous les taillis,  les Belges rejoignent deux Français dans une ferme isolée.  La frontière n’est plus loin mais rien n’est encore gagné.  Les quatre évadés longent la gare de Mauléon par une piste qui la surplombe et qui semble réservée à des funambules.  Avant l’aube,  non loin de Licq,  au pied du Pic de Bicayagagne : repos !
La journée se passe dans la forêt voisine,  sous la pluie.  Il est vingt-trois heures quand un nouveau guide siffle discrètement le rassemblement.  Il faut s’enfoncer dans les gorges de Kaquetta et on raconte que de nouveaux renforts en SS sont arrivés.

3 juillet :  il pleut toujours.  Réunis au passeur par des bâtons,  les fugitifs gravissent cette pente glissante vers ce bruit :  une usine hydro-électrique,  un barrage,  et là un pont assez long gardé par des sentinelles.  Il pleut à torrents.  C’est pour cette nuit.
Voici les crevasses d’Olcarte,  les bois d’Ascaray et cette pénible montée à travers les bois de Sarrantolaine.  Le guide va reconnaître le passage d’un petit pont de bois sur le torrent d’Olhadibie.  Les gorges de Kakouetta sont parait-il,  jalonnées de cadavres de fuyards abattus par les gardes-frontières.  La fatigue se manifeste,  nos fuyards épuisés débouchent sur un plateau.  Serait-ce enfin l’Espagne,  là-bas ?  Le guide est encourageant :  « Quoi ?  Nous ne sommes pas encore à mi-chemin ! ».
La pluie a cessé.  L’altitude augmente.  Le souffle diminue.  En contre-bas,  vers le Pic des Escaliers,  des nuages blancs noient la vallée.  Le vent hurle.  Les Français se délestent de leurs bagages mais Maurice Esling garde courageusement son sac à dos.
Il est quatre heures,  l’heure où l’organisme offre le moins de résistance,  quand commence l’ascension.  L’aurore commence à blanchir les crêtes du Pic de Gastarrie.
Maurice Esling soutient l’un des Français malade ;  René Marland,  l’autre.
Les voilà au pied d’une crête.  Il faut franchir,  en courant,  d’une traite,  pour atteindre l’autre versant et éviter le tir éventuel des gardes-frontières de ce IIIe Reich qui s’étend maintenant jusqu’aux Pyrénées.  Il est sept heures.  Il fait froid.  Mais les fuyards se ruent vers ce bloc de rochers qui les soustrairont aux vues et qui sont,  dit le guide,  en Espagne !  Les y voilà.  Ils se laissent glisser dans la vallée pour trouver un chemin,  ou un refuge,  ils sont dans un tel état...
Et voici une cabane,  un feu de bois et... deux hommes en uniformes qui saisissant leur fusil crient « en espagnol ».  Se laisser arrêter,  dans leur cas,  n’est-ce pas SURVIVRE ?

 

René Marland et Maurice Esling sont emmenés avec leurs deux compagnons français à Ustarroz,  un petit village de la province de Saragosse.  Interrogatoire et fouille,  vers dix-huit heures des « Guardia Civil » les escortent jusqu’à Isaba.  On les enfourne dans une cave grillagée,  qui sert de prison locale.  Ils découvrent qu’il s’agit là du camp de passage de tous les évadés qui les ont précédés.

Le 4 juillet,  ils sont poussés dans un autocar en route pour Pampelune !  Il est vingt et une heure quand ils débarquent.  Escorté par des gendarmes,  avoir l’air famélique,  sentir mauvais :  toutes les conditions sont réunies pour que les spectateurs qui vous contemplent se donnent bonne conscience et soient prêts à vous lyncher.
Dans cette ville illuminée,  en liesse,  les voici devant la prison.  Six lourdes grilles,  de longs couloirs en croix,  trois étages de « cages »,  des gardiens grossiers,  une cellule dans laquelle on les jette sur le sol en béton... « Viva Espana » !

Lundi 5 juillet 1943,  prison de Pampelune :  appel !  Les prisonniers « rouges » sont rassemblés le bras tendus pour saluer l’hymne de la phalange.  Le petit déjeuner est servi.
Puis c’est le « pelluquerio » qui leur enlève jusqu’au dernier poil qui orne leur crâne.
Ils se trouvent à six dans une cellule pour deux.  Mais comme René Marland dit : « La saison bat son plein ! ».  La tinette à côté de la porte,  les punaises de service le long des murs,  des poux en minorité mais par contre des puces à satiété.  On leur permet de prendre une douche froide.  Mais comme on ne peut changer ni de linge,  ni de vêtements,  René Marland écrit philosophe :  « Comme hier et comme demain,  je suis sale ce soir... ».  Les jours passent,  interminables. 

Le samedi 10 juillet 1943René Marland franchit toutes les grilles,  accompagné par un gendarme qui le conduit à la « Prefettura ».  De là il le pousse dans un vieux tramway à vapeur qui les amènera à San Sebastian.  On lui fait subir un interrogatoire serré à la Commandancia puis,  don du ciel,  on le place en résidence forcée à l’Hôtel Biarritz.
N’oublions pas que nous sommes au mois de juillet 1943.  La bataille d’Afrique du Nord est gagnée par les Alliés.  L’Italie va capituler.  L’Espagne franquiste réfléchit et quand le consulat de l’un de ces « alliés » reconnaît l’un des siens,  ce dernier devient personna grata.  Voilà qui explique l’élargissement de René Marland.
Dans la soirée du mercredi 14 juillet,  départ pour Madrid où il est conseillé de se présenter à l’Ambassade de Belgique.  Les fonctionnaires placent Marland en résidence, surveillée bien entendu,  à la pension Falcon.  C’est là qu’il sera rejoint par Léon Sureting et Robert Georgery qui deviendront un jour,  ses compagnons de combat à la Brigade Piron.

Le samedi 11 septembre,  une vingtaine de Belges munis de ce fameux passeport,  partent pour le Portugal.  René Marland est parmi eux et arrive à Valencia de Alcantara.
La frontière est franchie à Narvao-Beira,  le 12 septembre à onze heures trente.
Enfin les voici à Curia,  dans ce Palace qui a hébergé tant de Belges,  depuis des mois.

Le vendredi 8 octobre,  un groupe d’évadés belges triés par l’Ambassade et les services spéciaux,  avec l’accord des autorités portugaises,  est dirigé sur Lisbonne.

Le lundi 25 octobre,  les Belges sont embarqués sur le « René-Paul » en rade de Lisbonne et en pleine mer,  transbordés sur un destroyer britannique « Anthony » qui rallie Gibraltar où ils débarquent à l’aube.  On les équipe,  « la vie de caserne s’organise » comme l’écrit René Marland.  Deux jours plus tard,  ils sont embarqués sur la malle « Prince Albert »,  transformée en transport de troupes.  Après être restés vingt-quatre heures en rade,  en vue du Roc,  ils font partie d’un convoi sur une mer houleuse,  parmi les bateaux de guerre et les navires marchand,  en route vers les Açores.

Le 3 novembre,  l’aviation allemande s’occupera d’eux mais pour une « reconnaissance » sans doute,  parce qu’aucune attaque n’aura lieu.  Le lendemain ils sont à Plymouth où des vedettes les amènent vers un autobus « gardé ».

 

On connait la chanson :

 

Interrogatoires,  visite médicale,  cabinet particulier de l’Intelligence Service où l’on raconte vingt fois sa vie et... élargissement le 24 novembre 1943.
Le voyage a duré exactement six mois moins cinq jours.  Bravo René,  c’est une performance !  Quand on pense que Guy Vilain est resté UN an à Miranda !
René Marland s’est engagé dans les forces de terre belges de Grande-Bretagne et il fut versé dans les troupes de transmissions de la Brigade Piron.

 

Broadstairs (Angleterre) le 19 avril 1944. Le groupe des troupes de transmissions du 1er Groupement belge

Au centre (cravate et stick) le Cdt Richir, à sa gauche Kirschen, derrière lui, René Marland

 


En Ecosse,  le 24 février 1944 (Glasgow)
de gauche à droite : René Marland,  Servais et ...

Avec le commandant Richir,  il participa au débarquement,  à la libération du Calvados, à la Joyeuse Entrée à Bruxelles,  à la Campagne de Hollande le long du Canal de Wessem et à celle de 1945 sur les bords du Waal et du Rhin.  Cet architecte de la « classe 34 » ne s’est pas mal débrouillé pour un « Civil de carrière »...  Vous ne trouvez pas ?   Et quelle leçon pour certains « militaires de carrière » qui ont attendu derrière leur bureau du Secours d’Hiver ou de l’OTAD (Office des Travaux de l’Armée Démobilisée),  la libération de la Belgique par « les autres » c’est-à-dire par ces civils « volontaires » comme René Marland qui ne nous a pas tout dit puisqu’il a dû changer de nom,  avant le débarquement.  Au cas où il aurait été repris... il serait devenu Robert Mandre.


4 septembre 1944,  Libération de Bruxelles
René Marland

 

Extraits

" Evadés "
par Guy Weber

 

mise en page par Didier Dufrane